Réforme des retraites : l'avis mitigé du Conseil d’État
Conformément à l’article 39 de la Constitution, le 24 janvier dernier, les deux projets de loi réformant le système de retraite ont fait l’objet d’un avis du Conseil d’Etat. Cet avis est traditionnellement secret et ne lie pas le Gouvernement, qui a pourtant décidé de le rendre public et d’en suivre la plupart des recommandations. Si le Conseil est sévère quant à la méthode du Gouvernement, il conteste assez peu le fond de sa réforme.
Une étude d’impact lacunaire
Depuis la loi organique du 15 avril 2009, le gouvernement a obligation de joindre aux projets de loi une étude d’impact lors de leur transmission au Conseil d’État. Comme son nom l’indique, cette étude a pour objet d’exposer les raisons de la réforme, ses modalités d’application ainsi que ses conséquences.
Malgré une étude d’impact colossale (plus de 1 000 pages), le Conseil d’État a été d’une rare sévérité envers le travail du Gouvernement. Selon lui, cette étude manque gravement «d’objectivité et de sincérité», ces deux exigences ayant valeur constitutionnelle. En cause, les projections financières de la mise en œuvre de la réforme «lacunaires», de sorte que l’étude «reste en deçà de ce qu’elle devrait être».
La Haute Juridiction n’a pu «mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique» des textes
Une procédure expéditive
On le conçoit aisément, la réforme du système des retraites est un sujet délicat pour l’exécutif. Le Gouvernement a donc habilement tout mis en œuvre afin de réduire l’intervalle de contestation. Pour ce faire, il a éludé les consultations préalables, envisage de recourir aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution et a engagé la procédure accélérée sur les deux projets de loi. Ces options sont vivement critiquées par le Conseil d’Etat. Ainsi, les sages notent que si l’élaboration du projet de loi a été marquée par une procédure approfondie de concertation, «la saisine des organismes qui doivent émettre un avis s’est effectuée tardivement, après que le projet de loi lui a été transmis et la plupart du temps selon les procédures d’examen en urgence.»
Et plus problématique encore a été la saisine du Conseil d’État lui-même, pourtant conseiller du gouvernement. En effet, au cours des trois semaines allouées aux conseillers pour étudier cette somme de textes, le gouvernement leur a communiqué six rectifications, la dernière datant même du 16 janvier. Dans ces conditions, la Haute Juridiction considère qu’elle n’a pas été mise à même de «mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique» des textes. Une situation «d’autant plus regrettable» que les deux textes «procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social».
Autre critique avancée, le choix du gouvernement de recourir aux ordonnances : pas moins de 29 prévues sur une quarantaine de points de la réforme, y compris sur «des éléments structurants du nouveau système de retraite», comme, par exemple, la définition de la «pénibilité», la gouvernance du nouveau système ou encore les conditions d’entrée en vigueur de la réforme. Ainsi, sur ces points, personne n’est aujourd’hui en mesure de savoir quelles sont les intentions du Gouvernement.
Enfin, conformément à l’article 45 de la Constitution, le Gouvernement a décidé d’engager sur ces textes la procédure accélérée (une seule lecture, au lieu des deux traditionnellement opérées dans chaque chambre du Parlement). Cette procédure permet donc de réduire drastiquement le délai d’adoption de la réforme et par là même, le débat démocratique.
Le fond de la réforme peu critiqué
Si les conseillers écornent la prétendue «universalité» de la réforme, ils n’ont en revanche pas émis de remarques particulières sur les grandes lignes du texte. En effet, le Conseil d’Etat a mis fin au mythe du «régime universel de retraite» qui serait caractérisé par une population éligible unique, de règles uniformes et une caisse unique, mais constate au contraire que la réforme envisagée crée un «système universel de retraite». La différence est de taille puisque dans ce «système» co-existent cinq «régimes» (régime général, régime des fonctionnaires, magistrats et militaires, des salariés agricoles, des non-salariés agricoles et régime des marins). De plus, à l’intérieur de chacun, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour certaines professions. Et en termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes. Ces considérations conduisent le Conseil à tacler l’objectif selon lequel «chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous» qui «reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits».
Malgré cette série de critiques, la Haute Juridiction semble considérer les deux projets de loi comme conformes à la Constitution et au droit international. Et reconnaît même certains points positifs, comme par exemple le système par points qui «présente l’avantage de corriger les défauts propres au régime en annuités, en ce qui concerne la prise en compte des carrières heurtées». Même le tant décrié «âge d’équilibre» ou «âge pivot» n’appelle aucune remarque particulière de sa part, si ce n’est celle de sa conformité à la Constitution.
La procédure n’en est qu’à ses débuts. Mais elle promet des débats houleux au Parlement et des contentieux en nombre devant le Conseil constitutionnel et la section contentieuse du Conseil d’État. Affaire à suivre…