Le motif économique du licenciement d’un salarié protégé peut-il résulter d'une faute de gestion de l'employeur ?
Le licenciement d’un salarié protégé doit faire l’objet d’une autorisation administrative, l’inspection du travail contrôlant alors, sous le regard éventuel du juge administratif, la réalité du motif invoqué. En particulier, lorsque l’employeur invoque un motif économique, se pose la question de l’étendue du contrôle auquel doit procéder l’administration. Dans une décision du 2 décembre 2024, le Conseil d’Etat apporte d’importantes précisions en la matière.
Les
articles L. 2411-1 et suivants du Code
du travail imposent à l’employeur, lorsqu’il envisage de
licencier un salarié protégé, d’en demander l’autorisation à
l’inspection du travail territorialement compétente. Cette
procédure spéciale doit être suivie en plus de la procédure
habituelle de licenciement.
Lorsqu’il
reçoit cette demande et au cours de son enquête contradictoire,
l’inspecteur du
travail contrôle
si les motifs invoqués à l’appui de la demande de licenciement
respectent les critères définis par la législation et la
jurisprudence. Bien entendu, lorsque
le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il
«ne
doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives
normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé».
Le
contrôle de l’inspection du travail
Lorsque
l’employeur
invoque un motif économique, il
appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au
ministre, «de rechercher,
sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de
l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte
notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs
et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans
l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière».
En
particulier, l'inspecteur doit notamment vérifier la régularité de
la demande d'autorisation de licenciement, au regard de l'ensemble
des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, y
compris les stipulations
des accords collectifs de travail applicables
au salarié.
En outre, le Conseil d’Etat vient de rappeler, dans
une décision du 2 décembre 2024,
que l’inspecteur du travail doit s'assurer que l’employeur a
«procédé à une
recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié
dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu
d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec
elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son
personnel. En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier le
respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe».
L’étendue
du contrôle opéré
Dans l’affaire tranchée par le Conseil d’Etat, les salariés, dont le licenciement pour motif économique avait été autorisé, estimaient que, certes, existaient des difficultés économiques de l’entreprise, mais que celles-ci avaient en réalité été «organisées» par la direction. Ils soutenaient que leur employeur n’avait tenu aucun des engagements qu’il avait pris devant le tribunal de commerce.
La réponse du Conseil d'État est sans appel : «lorsque l'employeur invoque, à l'appui d'un projet de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé, les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, il n'appartient pas à l'autorité administrative de rechercher si ces difficultés sont dues à une faute de l'employeur».
Dans
ses conclusions sous cette décision, le Rapporteur Public explique
cette position :
si le motif économique est retenu, l’inspection du travail «n’a
en revanche pas à en rechercher la cause, en quelque sorte 'la cause de la cause' du licenciement. La
circonstance qu’une faute de l’employeur soit la cause du
motif économique est sans incidence sur l’existence dudit motif,
qui seule importe à l’autorité administrative».
La
porte de sortie prévue par le Conseil d’Etat
Si
la décision paraît
sévère pour les salariés, le Conseil d’Etat ménage toutefois
une porte de sortie
pour ceux
s’estimant
lésés. Il indique que le salarié, s'il s'y estime fondé, peut
toutefois «mettre
en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de
l'employeur, en demandant réparation des préjudices que lui aurait
causé une telle faute».
En effet, la solution adoptée par la Haute Juridiction n’est pas tout à fait identique à celle retenue par les juridictions judiciaires. La Cour de cassation juge que certains comportements fautifs de l'employeur ne constituant pas une simple erreur dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion, peuvent priver de cause réelle et sérieuse un licenciement de nature économique (Soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.647 ; Soc., 24 mai 2018, n° 17-12.560 ; Soc., 4 novembre 2020, n° 18-23.029, ), dès lors qu'un lien de causalité direct et certain entre ces agissements et le motif économique invoqué est établi (Soc., 10 septembre 2019, n° 19-12.025 ; Soc., 8 juillet 2020, n° 18-26.140, RJS 10/20 n° 465 ; Soc., 17 mars 2021, n° 19-12.025).
* CE, 2 décembre 2024, n° 473678, B