L’Etat reconnu responsable de pertes causées par les « gilets jaunes »
Dans une récente décision, le Conseil d’Etat vient d’ouvrir la porte à une indemnisation par l’État d’entreprises dont l’activité aurait été perturbée par le mouvement des « gilets jaunes » de fin 2018.

Les
raisons de l’engagement de la responsabilité de l’Etat
L'article
L. 211-10 du Code
de la sécurité intérieure dispose que « L'État
est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des
crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des
attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les
personnes, soit contre les biens. (...) ».
Ce
cas d’engagement de la responsabilité de l’Etat est doublement
indispensable pour les victimes puisqu’il existe une carence du
marché privé, l’article L.121-8 du Code
des assurances disposant que les assurances « ne
répond[ent]pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages
occasionnés (…) par des émeutes ou par des mouvements
populaires ».
Qui
plus est,
les actions judiciaires engagées contre les auteurs des dégâts
aboutissent peu - ils sont rarement identifiés et, lorsqu’ils le
sont, souvent insolvables. Pour autant, dans un souci de juste
répartition de l’effort, la loi
n°2019-290 du 10 avril 2019,
visant
à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des
manifestations,
a
rétabli l’action récursoire dont dispose l’Etat contre les
auteurs des dommages.
Des
conditions
Plusieurs
conditions sont nécessaires à l’engagement de sa
responsabilité. D’une
part, l’agissement ayant causé le dommage doit constituer un
crime ou un délit. Ce ne sera pas le cas si les dégradations liées
à l’attroupement n’ont pas de caractère volontaire, mais
résultent d’accidents ou de mouvements de foule
(CE, 19 mai 2000, Région Languedoc-Rousillon, n° 203546).
Une certaine dose de préméditation est donc exigée : plus le
rassemblement est annoncé à l’avance avec cette finalité, plus
la qualification « d’attroupement » sera
favorisée. Selon le rapporteur public « cette
préméditation de l’infraction sera établie par les
préparatifs : rassemblement de matériaux explosifs,
barres de fer, pneus, organisation du transport ».
D’autre
part, il doit exister un lien de causalité entre l’agissement
en cause et l’attroupement ou le rassemblement, c’est-à-dire un
groupe de personnes s’étant rassemblées et agissant d’une
certaine façon ensemble. Ainsi, si le ou les petits groupes sont
trop isolés, il ne s’agit alors pas d’un attroupement, et les
dégâts causés ne peuvent être réparés par l’Etat (CE,
3 mars 2003, n° 242720).
De même, plus le groupe en cause est de petite taille moins la
responsabilité de l’Etat serait susceptible d’être engagée.
Dans
ses conclusions sous cette affaire, le rapporteur
public évoque le rôle central d’un troisième critère, celui de
« la
pondération des finalités ».
Selon
lui, « il
ne faudrait pas que la finalité soit majoritairement
délictuelle ».
Des
dégâts collatéraux créés par les « gilets jaunes »
Dans
le cas tranché par le Conseil d’État, concernant
l’indemnisation d’une entreprise,
la Haute Juridiction relève
que « les
actions de blocage et de filtrage de la circulation en cause ont été
menées par une dizaine à une quarantaine de manifestants, revêtus
de gilets jaunes, qui ont mis en place des barrages, à l'aide de
camions, de palettes et de pneus ou encore de divers objets, pour
filtrer le passage, en interdisant l'accès aux poids-lourds
transportant des marchandises ou en l'autorisant seulement pendant
une tranche horaire restreinte ».
De
plus,
ces actions, « qui
se sont prolongées pendant près d'un mois, malgré plusieurs
interventions des forces de police, s'inscrivaient dans le cadre d'un
mouvement national de contestation, annoncé plusieurs semaines avant
les faits, notamment sur des réseaux sociaux, et qui a conduit à la
mise en place de nombreux barrages routiers sur l'ensemble du
territoire ».
Mais
les hauts
magistrats
estiment surtout que « ces
actions, qui avaient pour motif l'expression d'un mécontentement,
n'avaient pas pour principal objet la réalisation des dommages
causés à la société
requérante
et aux autres personnes affectées par ces blocages ».
En clair, la perte
de chiffre d’affaires de
l’entreprise
n’était pas le but des manifestants, mais
n’est qu’un dégât collatéral, qui doit donc être indemnisé
par l’Etat.
* CE, 28 février 2025, n° 473904