Secteur de l’hôtellerie en danger : la clé est entre les mains des clients
La réouverture des restaurants offre enfin des perspectives aux hôteliers. Mais ces derniers mettent en garde : il faut vite que les clients reviennent en nombre. Sinon, ils auront bien du mal à redresser les finances de leurs établissements, fragilisés par plus d’un an de crise sanitaire.
Après presque sept mois de fermeture, les restaurants, notamment ceux des hôtels, ont partiellement rouvert leurs portes le 19 mai. «Uniquement pour leurs clients», a néanmoins précisé Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat chargé du Tourisme. «C’est déjà un bon début», souffle Marc Meurin, le chef doublement étoilé qui vient de céder le Château de Beaulieu, un hôtel quatre étoiles situé à Busnes (Pas-de-Calais).
«Beaucoup de mes collègues avaient fait le choix de ne pas rouvrir leurs établissements. Franchement, on ne pouvait pas demander à nos clients de descendre chercher leurs plateaux repas à la réception et remonter les manger en chambre...»
Les hôteliers, tout comme les restaurateurs, ne sont pas donc pas sortis du tunnel, mais ils en entrevoient enfin le bout. Enfin, espérons-le… Car la pandémie de Covid-19 a fortement ébranlé et fragilisé l’ensemble du secteur.
Des capacités d’investissement fragilisées
Déjà, les 18 000 hôteliers français ont dû supporter un sacré paradoxe : leurs établissements étaient juridiquement ouverts mais économiquement fermés. Concernant le fonds de solidarité, ils n’ont pas bénéficié du même traitement que les restaurants purs. En outre, leur structuration juridique, souvent plus complexe, les a exclus d’une partie des aides.
Par exemple, «les gros porteurs indépendants, fermés faute de clients, ont perçu une aide mensuelle qui ne compensait même pas leur loyer», comme s’en inquiétait l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), dès le début du mois de janvier, au travers d’un communiqué. «De plus, le Gouvernement leur a aussi opposé le prêt garanti par l’Etat (PGE). Mais cela générait surtout de la dette, qui a plombé les bilans des entreprises hôtelières et a dégradé leurs fonds propres.»
Avec des conséquences fâcheuses à moyen terme. «Pas idéal pour ensuite aller voir son banquier», déplore Jean-Christophe Tonneau, propriétaire d’un deux-étoiles à Lille. En clair, cela a mis en péril les futures capacités d’investissement et d’innovation et a largement hypothéqué l’avenir de nombreux établissements…
L’effondrement de la trésorerie aura de sérieuses répercussions pour des entreprises qui ont souffert de ces longs mois de fermeture. «La porte d’un hôtel est habituée à s’ouvrir plusieurs milliers de fois par jour, explique Pierre Nouchi, président de l’UMIH du Pas-de-Calais. Lorsque ce n’est plus le cas, la porte commence par grincer. Puis, un jour, le mécanisme tombe en panne. Elle ne s’ouvre même plus.»
Son constat est simple : «Nos établissements se sont détériorés durant ces longs mois de fermeture. Il a fallu faire des travaux pour les remettre en état. Parfois, beaucoup de travaux ont été nécessaires.» Or, les banques ont refusé de repousser les échéances de prêts bancaires des hôteliers, toujours selon l’UMIH. Donc, de là à leur accorder de nouvelles facilités de trésorerie…
200 000 emplois en jeu
Pour le syndicat, la situation est même plus grave : «Les assureurs ont renâclé à indemniser, même quand les contrats le prévoyaient ! Et le comble est qu’ils sont allés jusqu’à imposer la signature d’avenants pour supprimer ces clauses 'pandémie' ou 'fermeture administrative', tout en refusant l’indemnisation !»
Dès le début de l’année, Laurent Duc, président national de l’UMIH hôtellerie, avait d’ailleurs mis en garde : «Notre profession souffre comme jamais. Nous serons sans aucun doute, hôteliers indépendants, les plus nombreux à ne pas pouvoir nous relever de cette crise, au détriment de nos 200 000 salariés. Cette réalité est niée par le Gouvernement. La situation devient intolérable quand nous voyons à l’inverse d’impétueux groupes nationaux ou mondiaux sans vergogne, s’enrichir de notre misère.»
Sur les premiers mois de 2021, les chiffres montrent que la situation est alarmante et sans précédent dans l’histoire de la profession. Sur tout le territoire, la fréquentation des hôtels a été en chute libre, faute de déplacements de la clientèle touristique et avec la disparition de la clientèle affaires.
De plus, l’hôtellerie repose aussi sur un écosystème local. Or, le tissu touristique a été rompu pendant toute la période où les restaurants, cinémas, musées, bars et discothèques ont été fermés. A titre d’exemple, 60% des hôtels à Paris n’ont pas ouvert durant les périodes de confinement ou de couvre-feu. L’indice de performance hôtelière Revpar affichait des baisses vertigineuses de -88% à Paris et -59% en France.
Durant toute cette période, la clientèle d’affaires et corporate n’a pas compenser ces pertes car le Gouvernement a poussé au télétravail et le secteur de l’événementiel s’est retrouvé totalement à l'arrêt. A titre d’exemple, l’état des réservations pour les vacances scolaires de février, sur tout le territoire français, affichait un taux d’occupation catastrophique de 13,4%. Seuls 10% des hôtels étaient ouverts en montagne. Et ceux qui étaient ouverts n’avaient pas de perspectives réjouissantes, contrairement aux résidences et aux meublés qui sont privilégiés en raison de leurs cuisines intégrées.
Où sont passés les employés ?
Un autre problème de taille se pose ! Quid du personnel ? «Beaucoup sont partis et on ne les reverra plus, se désole Pierre Nouchi. Les gens qui bossent dans notre secteur d’activité sont des gens courageux. Ils n’ont pas pu rester si longtemps sans rien faire. Et ils n’ont pas eu de mal à trouver autre chose. Aujourd’hui, on les retrouve chez les géants du commerce en ligne par exemple.» Dans beaucoup d’affaires, il y a donc urgence : «On doit recruter rapidement. Mais, surtout, il va falloir former tout ce nouveau personnel.»
Certains ont aussi jeté l’éponge, mais pour d’autres raisons. «A la fermeture, on a mis notre point d’honneur à conserver tout le monde», explique, un tantinet amer, Nicolas Pourcheresse, un chef lillois qui dirige plusieurs établissements. «Quand on a su qu’on allait rouvrir, j’ai demandé à mes gars de se tenir prêts. Qu’on allait redémarrer à fond. Résultat, j’ai eu trois démissions. Ils ne se sentaient plus de repartir dans un poste de coupure.» Et les conséquences sont fâcheuses : «Comme ils étaient au chômage partiel, je dois sortir 14 000 euros de congés payés. Ça va plomber ma trésorerie.»
Enfin, se pose aussi le problème des stagiaires. Les écoles hôtelières sont de d’importantes pourvoyeuses de main-d’œuvre en cuisine et en salle, mais aussi en réception. Et là aussi, les choses vont mettre du temps à rentrer dans l’ordre. «Les stages, ceux d’été notamment, n’ont pas eu lieu, se désole encore Pierre Nouchi. Beaucoup se sont tournés vers d’autres métiers de bouche comme la boulangerie ou la boucherie. Reviendront-ils vers l’hôtellerie-restauration ? Rien n’est moins sûr…» Un constat atténué par Bruno Plee, chef des travaux au Lycée hôtelier du Touquet (Pas-de-Calais) : «Mon adjointe a 180 conventions de stage à signé en deux jours, nous a-t-il répondu par téléphone. Ça a été long, mais c’est en train de redémarrer fort. Aujourd’hui, tout le monde veut des stagiaires.» Reste à savoir si les clients auront le même enthousiasme…