Prélèvement de l’impôt à la source, ce qu’en pensent les patrons picards
Dès janvier 2018 le prélèvement à la source – la retenue mensualisée des prélèvements directement sur les salaires – devrait entrer en vigueur. Le projet de loi sera intégré en juin dans la prochaine loi de finances rectificatives. Regards croisés du président du Medef Somme Nicolas Decayeux et de celui de la CGPME Somme et Picardie Sébastien Horemans.
Picardie la Gazette :Que pensezvous de l’instauration de l’impôt à la source ? Nicolas Decayeux : Je suis favorable par principe à tout mouvement de simplification administrative. Le prélèvement à la source doit évidemment offrir un meilleur service aux contribuables, mais également générer des économies pour l’État sans rajouter de nouvelles contraintes aux entreprises. Pour que cette réforme soit réussie, il faudrait de la simplicité, de la sécurité, une neutralité financière, une expérimentation opérationnelle, un calendrier réaliste et une concertation au préalable. Ces principes me paraissent essentiels s’agissant d’une réforme qui concerne 20 millions de contribuables, plus d’un million d’employeurs, plus de deux millions de travailleurs indépendants et plus de 75 milliards de recettes pour l’État.
Sébastien Horemans : C’est une très bonne idée sur le principe si l’impôt ainsi collecté entraîne une baisse des dépenses de l’État et donc si cela se traduit par une diminution de la fiscalité des TPE/ PME. Cela peut permettre d’avoir un État plus efficace, et devient une condition impérative pour un futur équilibre des finances publiques. Notre pays souffre d’une administration beaucoup trop lourde au regard des autres pays de l’OCDE (nous dépassons 40% des dépenses de l’État dans ce domaine).
P.L.G. : L’employeur va devenir un nouvel acteur du circuit de recouvrement de l’impôt, c’est-àdire le tiers payeur. Cela est-il un problème pour vous ? N.D. : Il y a de fortes inquiétudes sur quelques points de ce projet. L’utilisation de la DSN [ndlr, Déclaration sociale nominative] pour transmettre le taux d’imposition des salariés en est un. Si cela semble être la bonne méthode, il me paraît risqué d’annoncer une mise en place opérationnelle dès janvier 2018. L’évolution informatique de la DSN pour intégrer le prélèvement à la source serait en effet substantiel. Le chantier a déjà pris du retard avec une généralisation à toutes les entreprises qui sera reportée à juillet 2017. Le déploiement d’une
nouvelle fonctionnalité lourde nécessitera du temps. Il est donc de la responsabilité du Medef d’alerter sur le fait qu’une seule année pour développer et déployer une telle évolution informatique et notoirement insuffisante. Par ailleurs, il y aura évidemment un coût bien réel supporté par les entreprises avec la modification des logiciels de paie. La mise à jour mensuelle du taux de prélèvement des salariés est une modalité qui n’existe nulle part ailleurs et qui est un facteur de coûts et de complexités supplémentaires. Le cas des embauches en cours de mois, des contrats courts et de l’intérim restent aussi une question en suspend. Il y a aussi le cas des 100 000 entreprises recensées qui ne dispose pas de logiciel de paie et sans tiers déclarant que va-t-il en advenir de leur cas ?
S.H. : C’est une charge administrative de plus pour nos entreprises qui sont déjà écrasées par des contraintes très nombreuses. Je citerai ici la pénibilité, le CPA, l’ANI (pour la formation). Chaque année, être entrepreneur en France devient plus lourd, plus com
plexe… Nous avons déjà dépassé la limite du supportable, ce qui explique le niveau record de disparition d’entreprises, et je crains sans contrepartie que nous entrions dans le cercle vicieux de la destruction d’entreprises.
P.L.G. : Y aura-t-il des gagnants et des perdants avec cette mesure selon vous ? N.D. : C’est encourageant qu’il y ait un début de simplification et de modernisation de l’État. Néanmoins, il me paraît difficile d’apporter le soutien des entreprises à cette mesure sous cette forme. En l’état actuel du projet, ce n’est pas gagnant pour les entreprises.
S.H. : S’il n’y a pas de contreparties financières pour les TPE/ PME, ce seront les grandes perdantes de ce texte, avec un découragement toujours plus prégnant des patrons de petites entreprises qui créent pourtant 85% des emplois en France. Nous n’aurons – si cette tendance se confirme en France – plus que des auto-entrepreneurs qui par définition ne créent pas d’emplois, et des grands groupes, qui n’en créent plus non plus. Du côté des particuliers, avec le décalage d’un an de l’imposition, tout dépendra de l’évolution des revenus qui pourra soit entraîner une fiscalité plus forte, soit plus intéressante.
Propos recueillis par Alexandre BARLOT