"On assiste à une révolution culturelle"

Gérard, Dokou, professeur de gestion et de microéconomie à l'Université du Littoral et de la Côte d'Opale.
Gérard, Dokou, professeur de gestion et de microéconomie à l'Université du Littoral et de la Côte d'Opale.
D.R.

Gérard, Dokou, professeur de gestion et de microéconomie à l'Université du Littoral et de la Côte d'Opale.

Gérard Dokou est directeur du Centre entrepreneurial du Littoral (CEL) et responsable de la licence professionnelle PME/PMI. Il pilote aussi le master management et marketing international. Professeur de gestion et de microéconomie, il nous livre son regard sur la création d’entreprise, notamment chez les jeunes, et prêche pour amplifier le souffle entrepreneurial dans la région.

La Gazette. Quelle est votre appréciation générale de la création d’entreprise en France et dans la région depuis quelques années ?

Gérard Dokou. la France et de la région ont énormément travaillé sur la culture entrepreneuriale. Songez que c’est quelque chose qui est enseigné désormais depuis le collège jusqu’à l’université. Il y a eu aussi le statut de l’étudiant- entrepreneur. Globalement, la France et la région rattrapent leur retard par rapport à des pays comme le Canada ou les Etatsunis. La révolution numérique, le bilinguisme et la mobilité des jeunes favorisent leurs capacités à créer. On les qualifie souvent de “génération d’entrepreneurs”. Voyez le dynamisme du CJD et sa capacité à se saisir des problématiques sociétales. On assiste à une sorte de révolution culturelle, notamment dans la région. Il y a une réelle politique régionale pour insuffler l’esprit entrepreneurial dans les consciences. La région a connu de très grandes difficultés économiques depuis la désindustrialisation, mais la dernière décennie nous montre des progrès très importants et un impact indéniable.

Pourtant, la région est connue pour une certaine résignation, une présence de l’économie non marchande massive… L’impact sera t-il aussi profond ? 

Il faut du temps. On doit se projeter sur un horizon de trente ans. Les collégiens qui ont été sensibilisés arrivent maintenant à l’université. Beaucoup disent : tôt ou tard, je créerai. Les freins ont disparu dans leur esprit. C’est déjà énorme ! Il ne faut pas se cacher que la situation économique pousse à la nécessité : créer pour ne pas subir. Mais même s’ils ne créent pas, les jeunes adultes auront développé cette aptitude à faire des projets et c’est extrêmement utile pour entrer sur le marché du travail.

Cet esprit d’entreprendre peutil s’adresser à toutes les filières universitaires ?

A priori, on peut penser qu’il y a peu de chance de création dans certaines filières, mais entreprendre, c’est précisément saisir des opportunités qui croisent notre regard. Et cela peut tout à fait s’adresser à un linguiste, un mathématicien ou à quelqu’un qui a fait Lettres et qui s’oriente vers les ressources humaines. Le décret sur l’étudiant-entrepreneur veut justement généraliser l’esprit d’entreprendre. Lors d’un comité d’évaluation de projet, une étudiante planche sur un restaurant-bar à thèmes ; son business plan fait apparaître un revenu de 1 000 euros pour elle et une surface commerciale moyenne. Nous l’avons questionnée pour savoir pourquoi elle ne voyait pas plus grand. Elle voulait réduire le risque en se lançant, puis se développer peu à peu. Cette approche incrémentelle nous montre la maturité des jeunes. Et si ça ne marche pas, lui a-t-on demandé ? Je créerai autre chose, a-t-elle répondu ! Pour beaucoup, le tabou est brisé. L’échec est pris comme un ressort ; ils ont véritablement développé l’esprit d’entreprise.

Cet esprit que vous appelez de vos voeux ne se brise-t-il pas sur la réticence des banques à partager le risque des entrepreneurs ?

Il est tout à fait clair que les banques ne jouent pas le jeu. Tous les signaux que nous percevons dans les différents réseaux économiques ont la même opinion… Le financement ne suit pas. Ce faisant, les banques prennent un risque aussi ! Elles ont intérêt à revoir leur modèle, leur appréciation du risque. En Grande- Bretagne, les banques regardent votre potentiel, votre capacité à créer de la valeur : c’est tout ce qui compte. Ici, on vous demande la liste de vos diplômes et un état détaillé de l’ensemble de votre parcours. Un fossé se creuse…

La culture d’entreprendre vous paraît-elle bien ancrée aujourd’hui ? On dit les jeunes moins souples dans le monde du travail : sont-ils prêts à autant d’efforts pour monter leur affaire ?

Je suis très optimiste pour la région. La culture des jeunes semble plus complexe à aborder, mais leur exigence n’est pas antinomique avec leur capacité à créer et à faire de gros efforts. S’ils veulent concilier vie professionnelle et vie privée, il faut aussi voir qu’ils savent créer collectivement : conjoint, amis, camarades de promotion ; ils se partagent les rôles et ne se tuent pas à la tâche. Ils font preuve d’intelligence.

Morgan RAILANE