L’usufruitier de parts sociales : n’est pas associé qui veut...

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, saisie par la Troisième Chambre civile sur le fondement de l’article 1015-1 du Code de procédure civile, a tranché la question de la qualité d’associé de l’usufruitier.

Le refus d’accorder la qualité d’associé à l’usufruitier pourrait avoir une portée générale et concerner au-delà des seules sociétés civiles toutes les sociétés, la question n’est toutefois pas tranchée.
Le refus d’accorder la qualité d’associé à l’usufruitier pourrait avoir une portée générale et concerner au-delà des seules sociétés civiles toutes les sociétés, la question n’est toutefois pas tranchée.

La Chambre commerciale affirme qu’«il résulte de la combinaison de ces textes [l’article 578 du Code civil, définissant l’usufruit, et de l’article 39, al. 1 et 3, du D. n° 78-704 du 3 juillet 1978 applicable aux sociétés civiles,] que l’usufruitier des parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.» (Cass. com., 1er déc. 2021, Avis n° 9013 FS-D). S’alignant sur cet avis de la Chambre commerciale, la Troisième Chambre civile, par un arrêt du 16 février 2022, confirme ainsi que l’usufruitier ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé tout en lui reconnaissant la faculté de provoquer une délibération des associés lorsque son droit de jouissance est en jeu (Cass. 3e civ., 16 février 2022, n° 20-15.164). La question soulevée était la suivante : un usufruitier peut-il exercer le droit, ouvert à tout associé non-gérant, de provoquer une délibération des associés au sein d’une société civile ?


Rejet de la qualité d’associé de l’usufruitier

La Cour de cassation prend expressément position sur la question de savoir si l’usufruitier est ou non associé. La réponse donnée est sans ambages : «l’usufruitier des parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire.» La Chambre commerciale vise expressément l’article 578 du Code civil, dont elle reprend mot pour mot le contenu : «l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance.» Il semble qu’implicitement la Chambre commerciale ait choisi d’attacher la qualité d’associé à la propriété des parts, le texte désignant l’usufruitier comme n’étant pas propriétaire, «un autre [ayant] la propriété [le nu-propriétaire].» Le refus d’accorder la qualité d’associé à l’usufruitier pourrait avoir une portée générale et concerner au-delà des seules sociétés civiles toutes les sociétés, la question n’est toutefois pas tranchée. La qualité d’associé du nu-propriétaire est consacrée depuis un célèbre arrêt «de Gaste» du 4 janvier 1994 par la Cour de cassation (Cass. com., 4 janv. 1994, n° 91-20.256). En revanche, la même Cour n’avait jamais tranché expressément la question concernant l’usufruitier, même si certains arrêts avaient pu paraître dénier implicitement cette qualité à l’usufruitier (Cass. 3e civ., 29 nov. 2006, n° 05-17.009 ; Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, n° 15-15.172).


Reconnaissance à l’usufruitier du droit «de provoquer une délibération des associés...»

La négation de la qualité d’associé de l’usufruitier est tempérée par un autre principe rappelé par la Chambre commerciale : «[l’usufruitier] doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.» Suivant l’avis de la Chambre commerciale, la Troisième Chambre civile juge néanmoins que les usufruitiers en cause «n'ayant pas la qualité d'associés et n'ayant pas soutenu que la question à soumettre à l'assemblée générale avait une incidence directe sur le droit de jouissance des parts dont ils avaient l'usufruit, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que leur demande de désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés était irrecevable.» L’exercice du droit de provoquer une délibération par l’usufruitier est donc subordonné à la condition que ladite délibération soit «susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.» Seul l’usufruitier peut se prévaloir d’une telle incidence et c’eût été à celui-ci, dans la présente affaire, d’en rapporter la preuve. Les précisions de la Chambre commerciale sont à l’évidence bienvenues, cependant les prérogatives reconnues à tout usufruitier (tel que le droit de provoquer une délibération des associés) qui découleraient d’une possible incidence directe sur son droit de jouissance demeurent encore incertaines et seront laissées à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Loïc Toilier, avocat au département droit des sociétés, cabinet Fidal