Artisanat
Indications géographiques : un outil d'avenir pour les métiers d'art ?
Tapisseries d'Aubusson, linge basque... L'utilisation du dispositif juridique des indications géographiques, émergente, pourrait constituer un outil précieux pour les métiers d'art et du patrimoine, selon de nombreux acteurs du secteur réunis sur le Salon international du Patrimoine. Mais la démarche s'avère complexe.
Cette tendance émergente est prometteuse. Le 3 novembre dernier à Paris, lors du Salon international du Patrimoine, une table ronde était consacrée au « développement des indications géographiques, moteur d'un dynamisme territorial en faveur des métiers d'art et du patrimoine ». Le sujet est d'actualité : la stratégie nationale en faveur des métiers d'art définie en 2023, identifie ces IG, indications géographiques comme l'une de ses priorités. Et de fait, selon les acteurs du secteur qui participaient à la discussion, les IG répondent à une multiplicité d'enjeux : elles sont en adéquation avec la recherche d'authenticité des consommateurs, elles mettent en lumière un patrimoine local et permettent de communiquer, elles offrent une protection juridique.
Et aussi, et ce n'est pas le moindre de leurs atouts, elles participent à l'émergence d'écosystèmes locaux d'artisans. Pour l'heure, le phénomène ne fait qu'émerger. Une quinzaine de produits seulement sont concernés par le dispositif : granit de Bretagne, linge basque, Charentaise, dentelle de calais et de Caudry... « Tout reste à faire (…) Mais on pourrait retrouver des IG un peu partout sur le territoire », commente Philippe Huppé, chargé par le gouvernement d'une mission sur les IG et les associations de filière et président de l'association Villes et métiers d'art, qui regroupe quelque 200 membres.
Concrètement, depuis la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, les IG ont été élargies aux produits manufacturés et aux ressources naturelles. « Historiquement, les IG sont destinées à lutter contre la tromperie et les contrefaçons. Elles relèvent du droit de la propriété intellectuelle et protègent le nom d'un produit qui tire ses spécificités d'un territoire », rappelle Audrey Aubard, secrétaire générale de la FFIGIA, Fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales qui accompagne les porteurs de projet. La mise en place d'une IG passe par l'élaboration d'un cahier des charges précis qui définit le produit, une aire géographique, un processus de fabrication. Les entreprises sont certifiées par un organisme certificateur. « Il faut qu'un groupe de personnes, de producteurs légitimes se regroupent pour réaliser un cahier des charges et le déposer à l'INPI qui accepte de l'homologuer ou pas », précise Audrey Aubard.
« Nous avons besoin d'un label qui valorise les métiers d'art »
Parmi les intervenants de la table ronde, l'utilité des IG fait consensus. Ainsi, Ateliers d’Art de France, qui regroupe 6 000 artistes, artisans et manufactures d'art, considère qu'elles sont porteuses d'image. «Cela fait sens. Nous constatons que les acheteurs sont sensibles au sujet de la provenance des produits. Et nous avons besoin d'un label qui valorise les métiers d'art . Les IG mettent nos métiers en lumière», juge Didier Saba, maître-verrier, délégué régional d'Ateliers d’Art de France. Certes un label existe déjà : EPV, Entreprise du patrimoine vivant. Mais il s'avère inadapté à la réalité de l'artisanat d'art, car il est réservé aux structures qui comptent au moins un salarié, selon Didier Saba. Un autre témoignage va dans le même sens, celui d'Anne Thireau-Gérard, PDG de Counot-Blandin et présidente de Made in Grand Est . En Lorraine, son entreprise, dont les 22 salariés maîtrisent sept métiers d'art ( ébénisterie, tapisserie, pose de feuille d'or...) réalise des sièges sur mesure pour des clients très prestigieux. Elle cumule le label EPV et IG « Siège de Liffol ». « Nous en avons besoin car nous travaillons sur des chantiers formidables, mais sur lesquels nous n'avons pas le droit de communiquer et nous ne pouvons pas montrer nos produits », relate Anne Thireau-Gérard. La « fierté » des salariés fait aussi partie des avantages de la reconnaissance qu'apportent ces distinctions, un facteur non négligeable dans le contexte tendu du marché du travail.
La force – et la difficulté – du collectif
Autre atout de l'IG, « c'est un très bel outil pour créer un effet collectif », constate Géraldine Cauchy, directrice de Lainamac. A Felletin, près d'Aubusson (Creuse), cette association qui œuvre au développement de la filière économique locale autour de la laine est aussi en charge de la gestion de IG Tapis et tapisserie d'Aubusson. Dans ce cas, l'enjeu de communication n'est pas particulièrement important. En effet, cet artisanat est déjà inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco depuis 2009. Pour l'instant, une douzaine d'entreprises- manufactures, artisans lissiers... - sont engagées dans cette démarche d'IG. A terme, Géraldine Cauchy espère aussi y intégrer des acteurs de la filière en amont, comme les cartonniers – qui réalisent les cartons- , voire les éleveurs... « Nous ne l'avons pas imposé au départ, car cela aurait créé trop de contraintes. Mais nous y réfléchissons. En tout cas, l'IG constitue une démarche magnifique pour restructurer une filière dans un territoire », analyse Géraldine Cauchy.
Philippe Huppé aussi en est persuadé, mais il pointe aussi certaines difficultés. « Les artisans ont une manière de penser très indépendante. (…) Il n'est pas facile de les mettre autour de la table », constate-t-il. En particulier, le véritable « nœud », « ce qui empêche les gens de se rapprocher » réside dans deux visions difficilement conciliables de l'artisanat, selon le président de Villes et Métiers d'art : « Il y a ceux qui veulent répondre à l'ultra consommation en proposant un petit prix, et ceux qui portent une autre philosophie, où l'on part de la démarche et on l'explique au consommateur ». De fait, tous les projets d'IG n'aboutissent pas. Le cas de celui des savons de Marseille qui a été jusqu'à la Cour de cassation, en 2022, en est le triste emblème. « C'est la problématique de deux groupes qui ne se sont pas entendus sur une même vision du produit », analyse Audrey Aubard. L'affaire divise l'Union professionnelle du savon de Marseille qui veut délimiter l'IG aux seules Bouches-du-Rhône et l'Association des fabricants de savon de Marseille qui souhaite l'étendre au Var et aux Alpes-de-Haute-Provence. Au total, l'IG n'existe pas et les protections juridiques qu'elle offre non plus...
Les IG bientôt protégées au niveau européen.
En décembre 2025, le nouveau règlement européen concernant les IG entrera en vigueur. Publié en octobre 2023, ce règlement créera un système unique de protection à l'échelle européenne. L’INPI continuera d’instruire les demandes au niveau national et elles seront ensuite transmises à l’Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), pour l’enregistrement au niveau européen.