Crise sanitaire : la santé au travail mise à rude épreuve
Alors que la proposition de loi «pour renforcer la prévention en santé au travail» a été votée en première lecture à l'Assemblée nationale, les 11èmes Rencontres parlementaires pour la Santé au travail, en mars dernier, ont dressé, lors d’une table ronde, un état des lieux de la prise en compte de la santé dans les entreprises.
«2020 a été marquée par des enjeux de santé jamais connus auparavant», entame Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail en ouverture des débats des 11èmes Rencontres parlementaires pour la Santé au travail et de la table-ronde «Qualité de vie au travail et transformation RH : ce que change la crise sanitaire». La préservation de la santé des salariés a notamment appelé à prendre des mesures sanitaires contraignantes – via un protocole sanitaire spécifique actualisé à chaque évolution de l’épidémie et à rédiger une centaine de guides pratiques par branche pour répondre aux contraintes spécifiques de chaque activité.
Pour Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH, Association nationale des DRH, les DRH sont devenus de véritables «couteaux suisses», devant prendre en charge la poursuite de l’activité, le bien-être physique et mental des salariés, les fragilités psychologiques révélées par la crise et l’environnement de travail dans un contexte complexe, fluctuant au gré des confinements, déconfinements, couvre-feu et fermetures administratives.
Saluant le travail des DRH et des managers qui ont joué «un rôle de premier plan» pour trouver des solutions, le secrétaire d’État a rappelé qu’il appartenait aux managers de redonner vie au lien social. «Un dialogue social de qualité est la clé d’une bonne performance sociale», soutient Laurence Breton-Kueny. «Les entreprises et les partenaires sociaux ont été au rendez-vous en créant un dialogue social souple, grâce à la tenue de comités sociaux et économiques (CSE) digitaux et en faisant fi de formalisme excessif», a affirmé Laurent Pietraszewski.
Qualité de vie et conditions de travail
Pour garantir la qualité de vie au travail, les entreprises doivent à la fois être ouvertes, honnêtes, faire confiance à leurs salariés, faire preuve d’adaptabilité et être dans le dialogue. «Les partenaires sociaux et les salariés doivent être entendus et participer à la construction de leur propre environnement de travail», explique Cendra Motin, députée de l’Isère et vice-présidente de la commission des Finances. «On espère pouvoir travailler sur la qualité de vie au travail pour pouvoir renouer les liens et les échanges rendus plus difficiles avec la distance et prendre soin des personnes les plus vulnérables», indique Laurence Breton-Kueny.
La qualité de vie au travail doit être associée aux conditions de travail pour devenir la QVCT – qualité de vie et conditions de travail. «Il faut en discuter au plus près du terrain dans les entreprises et maintenir en discussion le travail et les conditions de travail, explique Bernard Ollivier, président de l’Anact, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Le décloisonnement entre les facteurs économiques et les facteurs sociaux est essentiel pour trouver le meilleur équilibre et préserver à la fois l’activité, les emplois et la santé des salariés».
Maintenir une qualité de vie au travail est d’autant plus difficile avec la crise. Pour Christophe Nguyen, président du cabinet Empreinte Humaine, spécialisé sur les risques psychosociaux au travail et la qualité de vie au travail, il n’y a jamais eu autant de risques psychosociaux que depuis la crise de la covid-19. «Avec l’apparition de nouveaux risques psychosociaux, il est nécessaire de renouveler les pratiques de prévention qui constituent de véritables amortisseurs, comme le droit à la déconnexion», conseille Christophe Nguyen.
Ainsi, selon les cinq vagues successives du baromètre OpinionWay pour Empreinte Humaine sur la santé psychologique des salariés en période de crise, sept à huit managers sur dix estiment que manager à distance et comprendre l’état moral des salariés est plus difficile. «Les entreprises qui ont des managers qui évoquent la QVT et qui ont mis en place des sentinelles pour les personnes en difficulté psychologique s’en sont mieux sorties que les autres», consent Christophe Nguyen.
Nouveaux défis pour les services de santé au travail
Autre enjeu du travail à distance, l’attachement à l’entreprise. Un lien qui se délite plus facilement. «Les entreprises doivent anticiper l’état psychologique des salariés et leur désengagement. Ces derniers ont de nouvelles attentes. Pour y répondre, elles doivent travailler sur ces nouveaux enjeux», poursuit Christophe Nguyen. Cette évolution contrainte de l’organisation du travail engendre de nouveaux défis pour protéger la santé des salariés.
L’ordonnance du 2 décembre 2020 permet aux médecins du travail et aux services de santé au travail de se mobiliser et de proposer à la fois de dépister et vacciner les salariés les plus vulnérables. «Les services de santé au travail ont l’opportunité de s’ancrer durablement dans les entreprises», note avec satisfaction Laurent Pietraszewski, qui espère que la réforme «pour renforcer la prévention en santé au travail» permettra, entre autres, de moderniser le système de santé au travail et de mieux faire connaître ses services, aux employeurs comme aux salariés, tout en garantissant une qualité de prestation équivalente quelle que soit la zone géographique et la taille de l’entreprise.