Brexit : l’heure du divorce a sonné !
Theresa May a transmis au président du Conseil européen, le 29 mars, la lettre qui officialise la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Les conséquences de ce Brexit restent incertaines et dépendent, dans une large mesure, de l’accord qui sera conclu entre le Royaume-Uni et l’UE…
Neuf mois après le référendum de juin 2016, Theresa May vient off iciellement d’activer le processus de séparation entre le RoyaumeUni et l’Union européenne, conformément à l’article 50 du traité sur l’UE. Au vu des longues et pénibles négociations des deux prochaines années qui devront mettre un terme à 44 ans de vie plus ou moins commune et tumultueuse, le ton de la lettre transmise au Conseil européen oscille entre revendication et sympathie à l’égard des autres capitales.
Il s’agit en effet de se concilier des partenaires qui risquent de devenir des adversaires, bien que le Royaume-Uni reste membre de l’UE durant les négociations, d’autant que les sujets de discorde ne manquent pas : sort des trois millions d’Européens installés au Royaume-Uni qui pourraient servir de monnaie d’échange dans les négociations, relocalisation d’agences européennes, comme l’Autorité bancaire européenne, équivalence des régulations financières, contribution britannique à la lutte contre le terrorisme en Europe qui pourrait, selon Theresa May, “s’affaiblir en l’absence d’accord”, montant de la facture à acquitter pour solder les engagements européens du Royaume-Uni (58 milliards d’euros évoqués), etc.
De plus, l’Écosse et l’Irlande du Nord ne facilitent guère la tâche du côté britannique, puisque le parlement écossais vient de voter en faveur d’un nouveau réfé- rendum sur l’indépendance pour fin 2018-début 2019, tandis que la crise politique à Belfast fait le lit du ressentiment antibritannique. Quant à la retranscription dans le droit britannique des quelque 19 000 lois et réglementations européennes, elle occupera les parlementaires pendant de nombreux mois à temps plein, d’autant que certains ne se priveront pas de s’opposer à tel ou tel texte. En outre, c’est dorénavant le troisième plus gros contributeur net à son budget après l’Allemagne et la France (7 milliards d’euros, en 2016) que l’UE va perdre. Avec pour conséquence soit d’augmenter les contributions nationales des autres Etats membres au moment où l’Europe n’a pas bonne presse, soit de baisser ses dépenses.
Les accords commerciaux. Le grand enjeu pour le Royaume-Uni est évidemment de conserver un accès plus ou moins large au marché unique européen : en l’absence d’accord, les échanges entre le Royaume-Uni et l’UE seront alors régis par les règles a minima de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avec pour conséquences des droits de douane prohibitifs sur l’automobile et les produits agricoles exportés vers l’UE. Pourtant, Theresa May ne cesse de répéter que “pas d’accord serait mieux qu’un mauvais accord”. Stratégie de négociation ou gage en direction des europhobes ? Quoi qu’il en soit, le Royaume-Uni ne serait dès lors plus soumis aux règles européennes en matière d’aides d’Etat aux entreprises, ce qui peut lui donner les coudées franches pour empêcher les grandes sociétés de plier bagage…
Mais il est vrai que la dépendance économique du Royaume-Uni envers le marché unique va contraindre le gouvernement à trouver au plus vite un accord, même limité. Cependant sa volonté de contrôler strictement l’immigration, qui fut au demeurant le grand enjeu du référendum sur le Brexit, le place en porte-à-faux avec les règles de libre circulation européenne. D’où l’abandon de l’idée d’intégrer l’AELE – association d’Etats hors UE (Islande, Liechtenstein, Suisse et Norvège) visant à établir une zone de libre- échange avec l’Union européenne –, car cela aurait nécessité de conserver l’essentiel des réglementations européennes, notamment en matière de circulation des personnes.
Enfin, le Royaume-Uni ne sera pas au bout de ses peines, car il devra également s’attacher à renégocier la quarantaine d’accords commerciaux conclus par la Commission européenne (Suisse, Corée du Sud, Pakistan…) et dont le pays bénéficiait de par son appartenance à l’UE.
La City sous pression. Le Royaume-Uni va également chercher à sauver la City, qui pèse près de 7% du PIB et 3,5% des emplois. C’est peu dire que la tâche s’annonce titanesque, car les filiales d’entreprises du secteur financier installées à Londres n’auront plus, en l’état actuel des choses, accès au financement en euros offert par la BCE et ne pourront plus compter sur le “passeport européen” pour vendre leurs produits financiers dans toute l’Europe. Et comme certaines grandes banques (HSBC, UBS, JPMorgan) et assureurs (Lloyd’s) ont déjà commencé à transférer quelques emplois de Londres vers le Continent, les capitales européennes font des yeux de Chimène aux acteurs financiers. Au point que Paris et Francfort se marquent désormais à la culotte pour tenter de ravir la place de la City, oubliant certainement qu’en raison de la position dominante de la City dans les émissions obligataires en Europe, le Royaume-Uni se battra bec et ongles pour mettre en place un système d’équivalence entre les régulations financières afin de conserver son accès à l’UE !
Le vrai danger de cette course à l’échalote pour attirer le secteur financier est le moins-disant en matière de régulation, qui mettrait à mal tous les efforts entrepris depuis la crise des subprimes en 2007 pour doter le système bancaire et financier mondial d’une régulation stable et efficace. Et en la matière, Donald Trump vient d’ailleurs de donner le coup d’envoi d’un détricotage en règle !
Un avenir incertain. Certes, pour l’instant l’économie du Royaume-Uni a plutôt bien résisté aux vents mauvais qui lui étaient prédits suite au référendum : malgré le ralentissement de l’investissement et la hausse de l’inflation, la croissance a été soutenue en 2016 (1,8%), tirée par la consommation des ménages à crédit. Toute la question est alors de savoir s’il s’agit d’achats anticipés réalisés par des ménages inquiets des consé- quences du Brexit sur leur pouvoir d’achat ou d’une confiance retrouvée dans la capacité du Royaume-Uni à créer seul les conditions de sa prospérité… Il reste que la livre sterling s’est dépréciée de 20% depuis juillet 2016, ce qui pèse sur le prix des importations dans un pays qui importe près de 80% de ce qu’il consomme. Au demeurant, jusqu’à présent la France peut néanmoins se targuer d’avoir dégagé un excé- dent commercial important avec le Royaume-Uni : 11,7 milliards d’euros en 2016. Mais l’avenir est beaucoup plus incertain et les négociations qui s’ouvrent serviront aussi à révéler le degré d’intégration souhaité par les autres membres de l’UE…