Y a-t-il trop de notaires ?

En application de la loi Macron de 2015, les effectifs de la profession ont bondi. L’Autorité de la concurrence prévoit de créer 700 postes supplémentaires. Mais le Conseil supérieur du notariat, présidé depuis la fin octobre par Jean-François Humbert, notaire à Paris, s’y oppose.

Les membres du Bureau du Conseil supérieur du notariat pour le mandat 2018-2020.
Les membres du Bureau du Conseil supérieur du notariat pour le mandat 2018-2020.

«Nous avons conscience que la profession est largement méconnue», admet Jean-François Humbert, notaire à Paris et nouveau président du Conseil supérieur du notariat (CSN), l’instance représentative des praticiens. Elu fin octobre par les 44 délégués nationaux (un ou deux par territoire correspondant chacun à une Cour d’appel), il assure que le notariat «est au service des concitoyens». Le nouveau président, 61 ans, est un notaire très impliqué dans les affaires de la profession : il a présidé la chambre des notaires de Paris et occupé la fonction de vice-président du CSN à deux reprises.

Jean-François Humbert, nouveau président du Conseil supérieur du notariat.

Installé dans la capitale, Jean-François Humbert succède à deux praticiens qui aimaient faire valoir leur enracinement régional. Ses prédécesseurs, Pierre-Luc Vogel et Didier Coiffard, exercent respectivement à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) et Oyonnax (Ain). Si le poste de président du CSN a toujours été occupé par un homme depuis sa création en 1945, le bureau de l’instance, qui compte sept membres, n’a jamais été aussi proche de la parité. Trois femmes en font désormais partie, Marie-Hélène Pero Augereau-Hue, notaire à Chevreuse (Yvelines) et porte-parole du CSN, Rozenn Le Beller, notaire à Lanester (Morbihan) et secrétaire du bureau, ainsi que Sophie Sabot-Barcet, qui exerce à Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire) et occupe désormais l’une des deux vice-présidences. «Oui, c’est la première fois qu’une femme est vice-présidente», concède Jean-François Humbert, qui s’empresse toutefois de souligner qu’il a déjà, au cours de sa carrière, «travaillé avec des femmes confrères de qualité». Des «femmes confrères», donc, et non des consœurs.

 

3 000 notaires de plus qu’en 2014

 

Parmi les ambitions du nouveau bureau figure la volonté d’apparaître comme des «instituteurs du droit». Contrairement à «nos amis les avocats», précise Jean-François Humbert, les notaires portent «une vision du droit qui n’est pas contentieuse». Pour lui, «le droit bâtit, avant de trancher». Le nouveau président espère profiter des élections européennes et de la désignation d’une nouvelle Commission européenne, au printemps 2019, pour «ouvrir le notariat à l’Europe». Alors que les populismes menacent l’existence même de l’idéal européen, les notaires organisent, pour la première fois de leur histoire, leur congrès annuel en-dehors de France, à Bruxelles, en juin prochain.

La France compte aujourd’hui quelque 13 000 notaires, et 70 000 collaborateurs, exerçant dans 6 000 études et 7 500 lieux d’implantation, une étude pouvant disposer de plusieurs bureaux. On recense 3 000 notaires de plus qu’en 2014. Cette hausse spectaculaire des effectifs était l’un des objectifs de «la loi Croissance», indique Jean-François Humbert. Cette loi de 2015, plus souvent citée sous le nom de loi Macron, est l’une des réalisations de celui qui était alors ministre de l’Economie. Connu pour avoir libéralisé les transports en autocar et le travail du dimanche, ce texte visait, pour ce qui concerne les professions réglementées, à faciliter l’installation des jeunes diplômés et à adapter l’implantation des cabinets à la démographie contemporaine. Pour le notariat, cela signifie la nomination de milliers de praticiens supplémentaires.

L’annonce de cette évolution, ainsi qu’une libéralisation des tarifs finalement abandonnée, avait déclenché la colère des notaires en 2014, et provoqué des manifestations très virulentes visant le ministre de l’époque. Aujourd’hui, l’atmosphère s’est apaisée. Avec les pouvoirs publics, «les relations sont parfaitement sereines. Nous devions revenir aux fondamentaux et nous y sommes parvenus», affirme Jean-François Humbert. Entre temps, il est vrai que le ministre est devenu président de la République, ce qui a sans doute contribué à l’apaisement.

Les membres du Bureau du Conseil supérieur du notariat pour le mandat 2018-2020.

Répartition géographique modernisée

 

Le président du CSN dit désormais souhaiter «la réussite» de la loi Macron. Presque la totalité des 1 650 nouveaux offices prévus pour 2018 ont été créés, dont 80% n’emploient qu’une seule personne, le notaire lui-même, selon le notariat. Pour l’Autorité de la concurrence, chargée de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles et de faire appliquer la loi de 2015, ce n’est pas assez. Pour la période 2018-2020, l’Autorité «recommande l’installation libérale de 700 nouveaux notaires», a-t-elle indiqué dans un communiqué publié le 31 juillet dernier. C’est trop demander au notariat, qui souhaite d’abord «permettre aux nouveaux venus d’exister, les intégrer à la profession, avant d’envisager une deuxième vague de créations».

En outre, l’implantation des nouvelles études bouleverse les habitudes de la profession. Jusqu’à présent, les notaires étaient surreprésentés dans les petites villes et les bourgades, à l’exemple de Baume-les Dames (5 000 habitants, Doubs) où exerce le trésorier du CSN, Jean-Yves Creusy. La réforme de 2015 visait à adapter la répartition géographique aux réalités démographiques du pays, en encourageant les implantations en périphérie des agglomérations, comme Fontaine (Isère), banlieue populaire de Grenoble, où est installé David Ambrosiano, vice-président du CSN.

Pour organiser cette répartition, l’Autorité de la concurrence s’est basée sur le poids des bassins d’emploi. Le notariat aurait préféré «les bassins de vie», estime Jean-François Humbert, car ceux-ci «incluent également les retraités», grands pourvoyeurs de transactions immobilières. Le CSN relève, en outre, que la liberté d’installation au sein des zones définies par l’Autorité de la concurrence a conduit à une baisse des effectifs dans deux départements, la Meuse et la Haute-Marne. «Nous ne voudrions pas, qu’à terme, la géographie notariale soit bouleversée», indique le nouveau président.

L’augmentation du nombre de praticiens amène à davantage d’inventivité. Le CSN veut encourager ses ouailles à dépasser leurs domaines de compétence habituels, en participant, par exemple, à l’élaboration de plans d’urbanisme. C’est «aller de l’acte au conseil», résume Jean-François Humbert, qui observe qu’une bonne partie des avocats «ne revêtent jamais de robe» et se concentrent sur le conseil.

On observera enfin que les jeunes notaires nommés dans le cadre de la loi de 2015 apportent un vent nouveau à la profession. Selon le CSN, la majorité d’entre eux sont jeunes et 60% sont des femmes. Voilà de quoi contribuer à faire davantage connaître la profession, ce qui est précisément le vœu du nouveau président.