Urbanisme et canicule : cartographier les îlots de fraîcheur

Les épisodes de chaleur récurrents modifieront, à terme, l’habitat, les lieux de vie, les déplacements, les horaires des activités, les habitudes.
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Les épisodes de chaleur récurrents modifieront, à terme, l’habitat, les lieux de vie, les déplacements, les horaires des activités, les habitudes. © Adobe Stock

Les villes se réchauffent plus vite que les campagnes. Et les écarts de température, en période de forte chaleur, peuvent atteindre une dizaine de degrés d’un quartier à l’autre. Pour limiter le réchauffement urbain, la cartographie s’impose.

La météo n’est pas le climat. Et cette sentence fonctionne
dans les deux sens. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il fait
inhabituellement frais en été que le réchauffement global de la planète ne
menace pas nos modes de vie. Et inversement, une période de chaleur
exceptionnelle, comme celle que connaît la France cet été, ne constitue pas
nécessairement la signature du dérèglement climatique. Sur le long terme,
pourtant, les relevés mettent tout le monde d’accord : les températures
montent.

Et il va bien falloir s’adapter. En ville, en particulier,
les épisodes de chaleur récurrents modifieront, à terme, l’habitat, les lieux
de vie, les déplacements, les horaires des activités, les habitudes. La
répétition de ces épisodes risque, en outre, de faire fuir les habitants, ce
qui alimenterait l’étalement urbain, et donc le réchauffement… C’est déjà le
cas, aux États-Unis, à Phoenix, capitale de l’Arizona, où les étés sont de plus
en plus longs et plus chauds. Les habitants font construire toujours plus loin
de la ville des maisons climatisées qui nécessitent toujours davantage
d’équipements viaires et de déplacements motorisés. C’est au début du XIXe
siècle que Luke Howard, pharmacien et météorologiste londonien, met en
évidence, pour la première fois, l’existence, en ville, d’îlots de chaleur, où
le thermomètre grimpe plus vite et plus haut qu’ailleurs. On constate
aujourd’hui plusieurs phénomènes concomitants. Tout d’abord, les températures
moyennes des villes sont plus élevées que dans les campagnes environnantes. Et
les observations montrent que le milieu urbain a tendance à se réchauffer plus
vite. Les autorités de la ville indienne de Chandigarh, dont le plan quadrillé
fut dessiné par Le Corbusier, constatent que cela finit par menacer la qualité
de vie des habitants, notamment des plus pauvres.

Par ailleurs, dans une métropole, lors d’une période de
forte chaleur, la différence de température entre le centre-ville et la
périphérie s’accentue, jusqu’à atteindre une dizaine de degrés en fin de nuit.
Enfin, au sein même de la ville, d’un quartier à l’autre, les écarts se
renforcent, pouvant également atteindre une dizaine de degrés.

Des contrastes élevés en ville

Les facteurs expliquant ce phénomène sont désormais bien
documentés. Les sols artificiels présentent deux caractéristiques en apparence
opposées. Les surfaces noires, comme le bitume des routes ou des parkings,
absorbent la chaleur et la restituent en fin de journée et pendant la nuit. À
la tombée du jour, une ville ne refroidit pas tout de suite, au contraire d’une
prairie ou d’une forêt. Les surfaces claires ou réfléchissantes, comme le verre
ou les dalles, n’absorbent pas la chaleur, mais accentuent la réverbération du
soleil.

Par ailleurs, une ville comporte de nombreuses sources de
chaleur, usines, immeubles, aéroports, véhicules, réseaux souterrains, etc. Ces
dernières décennies, es climatiseurs ont accentué cette tendance, en rejetant
l’air chaud dans le voisinage. A contrario, les cours d’eau, étendues lacustres
ou maritimes, parcs et jardins, terrains de golf, rafraîchissent l’atmosphère.

La complexité de l’agencement urbain fait coexister, à
quelques dizaines de mètres de distance, des îlots suffocants et des zones
fraîches, désormais baptisées îlots de fraîcheur. Pour s’y retrouver, rien ne
vaut la cartographie. À l’échelle la plus fine possible.

De nombreuses municipalités, dans le monde, ont procédé à ce
type d’exercice. Au cours de l’été 2017, Jeremy Hoffman, un spécialiste du
climat travaillant pour le musée des sciences de Richmond (220 000 habitants),
capitale de l’État américain de Virginie, a dépêché des volontaires équipés de
GPS et de thermomètres dans différents lieux de la ville. Ils ont mesuré, le
même jour et à la même heure, des écarts allant jusqu’à 15 degrés Fahrenheit
(10 degrés Celsius) entre deux endroits de la ville. Ils ont aussi constaté que
les zones les plus chaudes correspondaient aux quartiers les plus pauvres, et
où prévalent les maladies liées à la chaleur (insuffisance respiratoire,
notamment). L’expérience a été renouvelée, à l’été 2019, dans huit villes
américaines, de diverses tailles, dans plusieurs États.

Localiser les points frais

Le même travail est effectué par les agences d’urbanisme à
New York, Paris ou Strasbourg. Les cartographes y ajoutent parfois une
localisation précise des points d’eau, des possibilités de baignade, mais aussi
les musées, bibliothèques, églises et autres bâtiments publics aux murs épais,
que l’on conseille de fréquenter les après-midis d’été…

L’administration de la région de Bruxelles-capitale, a
établi, suite aux épisodes de chaleur de 2003 et 2006, une carte précise des
îlots de chaleur et de fraîcheur. Le document met en évidence une différence de
trois degrés, en moyenne, entre le centre-ville et la périphérie.

Une fois ce constat effectué, que faire ? Tous les spécialistes s’accordent à dire que les arbres constituent la meilleure protection contre le réchauffement urbain. À quel endroit ? Là encore, la cartographie peut aider. « L’effet rafraîchissant des espaces verts et bleus est très local : il suffit d’un arbre sur une place pour que celle-ci soit rafraîchie », écrit l’administration Bruxelles environnement. À Montréal, où les maxima estivaux dépassent les 30 degrés chaque été, la municipalité de l’arrondissement de Rosemont-La-Petite-Patrie (145 000 habitants) apporte son soutien financier à ceux qui souhaitent verdir les ruelles. Il arrive que des ruelles, bitumées, servent de raccourcis pour la circulation automobile. Mais désormais, les habitants qui le souhaitent peuvent enlever le revêtement et transformer ces lieux en jardins ou en potagers. Sur le plan climatique, l’effet est double : une surface recouverte d’herbe absorbe moins la chaleur que le bitume, et l’opération facilite l’humidification du sol, qui contribue ensuite au rafraîchissement en s’évaporant.