Un plan vélo express
Alors que les transports publics demeurent handicapés par les impératifs de distanciation physique, la ministre Élisabeth Borne encourage les collectivités à « pérenniser » les pistes cyclables temporaires matérialisées depuis le déconfinement.
Rarement on aura vu Élisabeth Borne aussi rayonnante. Dans la vaste salle de réception du ministère de la Transition écologique, qu’elle dirige depuis septembre 2019, la numéro 5 du Gouvernement salue d’un hochement de tête chacune des personnes présentes. L’exercice, ce vendredi 29 mai, ne lui prend pas trop de temps : une dizaine d’invités, dont seulement deux journalistes, assistent à cette conférence de presse, impératifs de distanciation obligent. Le thème du jour met manifestement la ministre en joie. « Faire de la France une Nation du vélo », répète-t-elle à nouveau, comme à plusieurs reprises depuis le déconfinement entamé le 11 mai. Il est vrai que l’appétence pour la bicyclette, dans les villes, se voit à l’œil nu. Les comptages effectués le long des axes passants, à Lyon, Strasbourg, Avignon ou Rennes, le confirment. En quelques semaines à peine, des boulevards chargés, des rues encombrées, des quatre-voies dangereuses, à Lille, Marseille, Grenoble, ou en banlieue parisienne, ont été aménagés en axes cyclables. Le plus souvent, une voie jusqu’alors dédiée à la circulation motorisée a été affectée au vélo, et protégée grâce à des plots de chantier en plastique jaune. Les élus des grandes villes accèdent ainsi à des demandes des associations de cyclistes urbains qui, il y a quelques mois à peine, lors de la campagne pour le premier tour des municipales ne leur semblaient pas raisonnables. C’est un enjeu de santé publique : alors que les transports en commun ne peuvent accueillir qu’entre un quart et un tiers de leur capacité habituelle, les collectivités cherchent à encourager le recours au moyen de transport qui occupe le moins d’espace et pollue le moins. Des choix similaires sont d’ailleurs effectués, en ce printemps particulier, à Bruxelles, Berlin, Milan ou New York. C’est ce « déclic » que salue Élisabeth Borne. « Longtemps, dans l’imaginaire collectif, le vélo était réservé aux enfants, aux sportifs ou aux balades du dimanche. Quand on sait que 60% des déplacements, en France, font moins de cinq kilomètres, cette sous-utilisation du vélo est une absurdité », affirme-t-elle. Dès lors, « en quelques mois, nous gagnons plusieurs années de politique cyclable », lâche la ministre, reprenant à son compte le discours des militants pro-vélo.
Une “fête nationale” du vélo en mai 2021
Le Gouvernement tient à faire savoir qu’il accompagne le mouvement. Sur une idée de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), qui rassemble les cyclistes urbains, l’État prend en charge une somme de 50 euros permettant de remettre en état une bicyclette qui dormait au fond d’un garage ou d’une cour. Le dispositif, dont les modalités sont consultables sur le site coupdepoucevelo.fr, tourne à plein régime. Les 3 200 ateliers de réparation agréés sont obligés de reporter des rendez-vous, et 70 000 vélos ont déjà été réparés. Le budget affecté à cette politique, 20 millions d’euros début mai, a été triplé le 29 mai. Pour répondre à la forte demande, la FUB a également lancé, avec le soutien du ministère, un programme de formation de mécaniciens spécialisés. 250 d’entre eux doivent en bénéficier d’ici l’été, et « ce sont des emplois non délocalisables », souligne Olivier Schneider, président de la fédération. Élisabeth Borne ne compte pas en rester là. Elle « invite les élus à pérenniser les pistes cyclables temporaires ». Pour y parvenir, les collectivités pourront solliciter l’appui financier de l’État dans le cadre d’un « fonds vert », doté d’un budget total d’un milliard d’euros. La bataille n’est pourtant pas terminée. Ainsi, avant même la fin du mois de mai, plusieurs pistes cyclables aménagées en urgence ont été démontées presque aussi vite. Sur l’avenue du Prado, en plein centre de Marseille, la métropole phocéenne a jugé que l’aménagement n’avait pas fait ses preuves. Le même argument a été employé par la ville d’Amiens, qui avait pourtant aménagé quelques pistes sur les grands axes, ou par le maire de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Ces démontages interviennent bien trop tôt, assure Christophe Béchu, maire (divers droite) d’Angers. « L’erreur serait de faire des comptages le long des nouveaux itinéraires, alors que le télétravail se poursuit et que les lycéens et étudiants n’ont pas repris les cours », dit-il. Le maire, réélu le 15 mars, a créé à Angers « six kilomètres de pistes là où elles ont vocation à durer ». Dans les villes en ballotage, le sort de ces aménagements figure déjà au programme du deuxième tour des municipales, aussi bien chez les candidats qui les soutiennent que chez ceux qui veulent les supprimer. L’engouement pour le vélo passera-t-il le déconfinement, les élections et l’été ? Élisabeth Borne veut le croire. Elle en appelle, pour cela, aux employeurs. L’aménagement de parkings réservés aux covoitureurs, la proximité d’une station de métro, la desserte par un arrêt de bus ou la création d’un stationnement sécurisé pour les vélos, constituent autant d’incitations à changer de mode de transport. Pour l’heure, malgré la signature d’une charte par le Medef en Ile-de-France, peu d’employeurs ont pris publiquement position sur ce sujet sensible. La ministre a donc invité, le 29 mai, Lionel Fournier, directeur pour la région atlantique d’Harmonie mutuelle, un groupe mutualiste dans le secteur de la santé. « Nous octroyons à nos salariés le forfait mobilité durable de 400 euros par an, et avons mis en place des parkings dédiés », assure le responsable. La ministre compte bien inaugurer en mai 2021 « Mai à vélo », une « fête nationale pour installer définitivement cette culture nouvelle ». Elle se pose ainsi de plus en plus comme “ministre du vélo”, espérant rester dans l’histoire comme celle qui aura réussi à modifier le rapport de la France avec la petite reine.