Un objectif : la prévention
Présidée par Jean-Claude Milot, l’audience solennelle du tribunal de commerce d’Arras s’est déroulée le 11 janvier dans ses locaux, en présence d’Hugues Weremme, procureur de la République d’Arras, et de nombreuses personnalités représentant les autorités civiles, administratives, judiciaires et universitaires.
Conformément au code de l’organisation judiciaire (article R 711-2), il revenait, pour la cinquième année consécutive, à Jean-Claude Milot de dresser le bilan de l’exercice écoulé, «un des indicateurs de la santé de l’économie locale».
Jean-Claude Milot, président du tribunal de commerce d’Arras, souhaite que le tribunal de commerce d’Arras multiplie ses actions d’information et de prévention.
2012 dans la continuité des années précédentes. Le tribunal a ouvert 634 procédures collectives (1% de plus par rapport à 2011). Le nombre de clôtures enregistrées est de 508 (- 50) ; 55 plans de cession ou de continuation ont été adoptés (8 de plus). Les juges-commissaires, «chefs d’orchestre de la procédure collective», ont procédé à la gestion et à la signature de 9 710 décisions dans les dossiers de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire (8 676 régularisés l’année précédente). Le tribunal a également rendu 2 662 jugements (9% de moins). Les juges en chambre des référés ont pris 136 ordonnances (58 de moins). «Ce chiffre paraît faible mais ces instances judiciaires ne concernent que les affaires urgentes et évidentes. Les conseils veillent donc à ne pas encombrer inutilement cette chambre.» Enfin, 1 671 ordonnances d’injonction de payer ont été signées par le président (35 de plus) qui a pris 1 163 décisions diverses (1 057 en 2011).
Une activité du greffe soutenue. Animé par Jean-Marc Parmentier, greffier en chef, et François Singer, le greffe a eu une activité très soutenue. Dans le domaine du registre du commerce et des sociétés, 11 074 formalités ont été traitées (4% en plus). Les dépôts des actes de société ont été de 6 579 et 8 437 au titre des comptes sociaux des entreprises ayant leur siège dans le ressort de la juridiction (progression de 26%). Dans le domaine des sûretés et privilèges, 7 624 formalités ont été consignées. Quant au nombre des immatriculations d’entreprises individuelles et des sociétés, il est de 2 822 (- 2%), alors que 1 766 radiations ont été enregistrées (+ 2%). L’analyse du bilan 2012 «confirme une situation économique qui reste fragile et les chiffres ne traduisent aucun signe tangible de reprise», d’autant que les déclarations de cessation des paiements sont légèrement supérieures à 2011.
2 500 emplois disparus et/ou menacés. Tous les secteurs d’activité sont touchés par l’accroissement des difficultés des entreprises face à la crise : le bâtiment, la sous-traitance automobile (on pense à Durisotti à Sallaumines), la métallurgie ainsi que les commerces. «Plus grave et plus inquiétant est le nombre des emplois disparus et/ou menacés, plus de 2 500 emplois.» Un point positif est l’augmentation des plans de cession et de continuation, d’où la réaction du président du tribunal sur le terme «fossoyeur» employé à l’encontre des tribunaux de commerce. Il faut rappeler que sur dix déclarations de cessation des paiements déposées au greffe, plus de six sont des demandes de liquidation immédiate, sollicitée par le débiteur.
Jean-Claude Milot a profité de la tribune pour rappeler quelques obligations des dirigeants d’entreprise. Au-delà de la tenue d’une comptabilité, «la publication annuelle des comptes auprès du greffe est obligatoire et toute infraction peut être sanctionnée pénalement par des amendes».
Constatant une augmentation de 20% des dépôts de comptes sociaux, il indique que si depuis quelques années le ministère public fait preuve de mansuétude, des relances seront faites pour les entreprises contrevenantes pouvant être sanctionnées si elles n’obtempèrent pas, et cela « malgré les objections soulevées par leurs dirigeants estimant que cette transparence des comptes publiés peut nuire à l’économie de leur entreprise».
Les juges plus au contact des entreprises. Après avoir remercié chaleureusement les juges pour leur dynamisme et leur écoute, le président confirme «que les juges étaient, suite à une décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012, des juges conformes à la Constitution, et non des juges du commerce à titre occasionnel occupant des fonctions juridictionnelles».
En collaboration étroite avec le greffe, des juges délégués à la prévention iront à la rencontre des entreprises dont certains indicateurs pourraient révéler les prémices des difficultés, comme l’inscription de privilèges sur les registres du greffe, le défaut de dépôt des comptes sociaux, la perte de plus de la moitié des capitaux propres, ou l’existence d’une procédure d’alerte. De nombreuses petites entreprises, commerçants, artisans n’ont pas de conseils. Les dirigeants doivent connaître les moyens mis à leur disposition pour prendre des décisions adaptées et préventives en cas de difficultés. Sur requête des débiteurs, le président met en œuvre les outils légaux de la prévention, en ordonnant les procédures amiables que sont le mandat ad hoc et la conciliation dans le respect de la confidentialité.
Plus d’outils de prévention. Une convention entre les chambres consulaires, le tribunal de commerce, les professionnels du droit que sont les avocats, ainsi que la profession comptable a été signée récemment, actant la création d’un Centre d’information sur la prévention (CIP) des difficultés d’entreprises au niveau de l’Artois. Ce dispositif a pour objectif de permettre la détection précoce des premiers symptômes de défaillance économique afin d’accroître les chances de redressement de situations préoccupantes. Le numéro vert unique pour prendre rendez-vous ou joindre le CIP Artois est le 0 800 112 978
La mise en place d’une «assurance santé entreprise» est une première en France. Le dispositif permet de garantir les honoraires des experts-comptables, avocats, mandataires ad hoc, conciliateurs intervenant dans la prévention des risques susceptibles d’affecter la pérennité de l’entreprise. Les professionnels, experts-comptables et intermédiaires en assurance, sont invités à communiquer auprès de leurs clients sur cette assurance «prévention santé» des entreprises. Les chefs d’entreprise ne doivent pas attendre d’être en difficulté pour souscrire, l’adhésion pouvant accélérer les décisions en amont et diminuer le nombre de chutes d’entreprises.
Extrait de l’intervention d’Hugues Weremme, procureur de la République d’Arras
Cette juridiction, comme toute formation juridictionnelle, est dotée d’un ministère public qu’incarnent les magistrats du parquet ayant pour mission de requérir et garantir l’application de la loi, son expression étant faite au titre de l’intérêt général. Par trois réformes législatives successives entre 1981 et 1994, le magistrat du parquet s’est vu attribuer un important pouvoir d’intervention dans les procédures collectives, avant que la loi de 2005 ne fasse de lui un acteur obligé dans certains cas.
Les procédures collectives ne mettent pas seulement en jeu des intérêts particuliers, mais aussi l’ordre public économique et social dont le ministère public est le garant. Force est cependant de constater que l’action traditionnelle des parquets est en général située en aval du jugement constatant l’état de cessation des paiements, après l’obtention des premiers éléments comptables recueillis sous l’égide de l’administrateur ou du mandataire judiciaire désigné. Cependant, il existe des informations dont le ministère public peut être légalement destinataire avant que ce stade ne soit atteint : de la part du greffe de commerce, des services de l’Etat, des instances de représentation des salariés, des services de police et de gendarmerie, du tribunal de commerce. Ainsi, théoriquement, les sources d’information ne manquent pas.
Le praticien qui vous parle a peu souvent l’occasion de pratiquer la prévention lors de l’exercice de la mission qui lui est dévolue auprès du tribunal de commerce. Cette difficulté n’existe pas qu’en France, nos voisins européens ne semblant pas mieux lotis.
Ces procédures sont peu couronnées de succès pour une raison identique : le caractère tardif de leur déclenchement, non pas en raison des textes qui les régissent, mais pour des raisons de pratique. Ce constat doit conduire à nous interroger sur les moyens d’inciter les dirigeants à se tourner vers la juridiction commerciale dès le début des difficultés. Il me semble être du devoir de tous les professionnels de la matière de dire et de redire que les difficultés sont un risque inhérent à la gestion et que les dispositifs légaux, loin d’être à but unique de sanction, sont avant tout des outils et des moyens de parvenir au rétablissement des entreprises.