Télétravail : «un SMS suffit»… ou pas ?
Avant la mobilisation sociale du 5 décembre, la ministre du Travail a incité les entreprises à s’emparer «des formes de travail à distance»… Mais recourir au télétravail ne s’improvise pas... Eclairage.
Dans ces nombreuses déclarations, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a mis en avant la nouvelle flexibilité permise par l’ordonnance de septembre 20171 sur le télétravail. La nouvelle définition dans le Code du travail (cf encadré) simplifie effectivement le recours au télétravail, en supprimant le critère de régularité qui le caractérisait depuis la Loi Travail de 2016.
En outre, cette pratique peut apporter une réponse aux évolutions de la société et du travail, notamment : permettre un nouvel équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des salariés, une meilleure qualité de vie au travail ; diminuer le temps passé dans les transports et les risques d’accidents de trajet, ou encore faciliter le maintien dans l’emploi des salariés en situation de handicap. Et le recours au télétravail peut contribuer à résoudre les difficultés posées par les mouvement sociaux et/ou les conditions climatiques impactant les transports en commun. Pour autant sa mise en place dans l’entreprise est-elle aussi simple que l’envoi d’un SMS ?
Des précautions de forme
En réalité, il s’agit d’une véritable mesure d’organisation du travail qui nécessite que des précautions de forme soient prises, comme identifier ou déterminer les postes éligibles et le nombre de jours par semaine/mois/année ; les conditions de passage en télétravail, (par exemple, en cas d’épisode de pollution, art L 223-1 du Code de l’environnement) et de retour à une exécution du contrat de travail au sein de l’entreprise. Devront également être étudiées les modalités d’acceptation par le salarié, de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail, les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail, et enfin les conditions matérielles nécessaires. Autant de points qui doivent être réglés, de préférence avant de proposer ce dispositif aux salariés.
Une réflexion à mener
Par ailleurs, tout salarié n’est pas en mesure de devenir un télétravailleur : être capable de travailler en autonomie, soit à partir de son domicile, soit dans un espace de coworking, mais, en tout cas, en étant éloigné de l’entreprise et des collègues, ne va pas toujours de soi. Pour ces raisons, il apparaît évident qu’une profonde réflexion commune doit être menée au sein de l’entreprise avant la mise en place d’un tel dispositif, afin de maximiser les chances de réussite.
Ainsi, la négociation d’un accord d’entreprise, ou à défaut la mise en place d’une charte, sur le télétravail est un moyen de permettre, aux employeurs comme aux salariés, de se poser ensemble les questions préalables à l’entrée en vigueur du dispositif. Et elles sont nombreuses, parmi lesquelles :
– le salarié doit-il être volontaire ?
– L’employeur peut-il imposer le télétravail?
– Sous quelle forme le salarié informe-t-il son responsable de sa demande (SMS, mail…)
– Sous quel délai le responsable doit-il être informé ? doit-il répondre ?
– Qui peut être concerné : un salarié en contrat à durée déterminée ou uniquement en contrat à durée indéterminée ?
– Faut-il une durée minimale d’ancienneté pour en bénéficier ?
– Le salarié doit-il être à temps plein ?
– Faut-il consacrer un espace personnel de travail au domicile du salarié ?
– Que se passe-t-il en cas d’accident au domicile du salarié ?
– Faut-il un appui technique, tant pour l’installation que pour l’utilisation des outils/systèmes mis à disposition du télétravailleur ?
– Une assurance spécifique doit-elle être souscrite par l’entreprise?
…/…
Il est donc clair qu’un SMS ne sera pas suffisant pour permettre à un employeur de répondre favorablement à la demande d’un salarié de bénéficier d’une mesure de télétravail.
S’il semble difficile d’envisager la signature d’un accord sur le télétravail d’ici le 5 décembre, ce sujet doit sans doute être noté à l’agenda des DRH qui souhaitent anticiper les difficultés à venir… et satisfaire les demandes potentielles des salariés de leur entreprise : selon la ministre du Travail, 60% des salariés aspirent au télétravail !
1. Ordonnance n°2017-1387 du 22/09/2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail et loi de ratification n°2018-217 du 29 mars 2018.
Anne MARLIERE–LEBOSSE, avocat associée, barreau de Lille, spécialiste en droit du travail (anne.marliere@fidal.com)
Définition
L’article L. 1222-9 du Code du travail définit le télétravail comme «toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication…».