Roubaix, démonstrateur de la mode de demain

Alors que la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde et que les vêtements sont devenus des biens de consommation jetables, deux industriels et deux distributeurs ont choisi d'aller à contre-courant en unissant leurs forces pour produire à la demande. L'Atelier Agile, à Roubaix, lancera ses premières productions courant 2022.

Depuis 2018, "Le Plateau fertile", à Roubaix, expérimente l'upcycling, teste la conception 3D...
Depuis 2018, "Le Plateau fertile", à Roubaix, expérimente l'upcycling, teste la conception 3D...

L'industrie de la mode doit repenser son modèle : cette transition inéluctable, Fashion Green Hub en a pris conscience depuis 2015. En regroupant plus de 300 membres, d'abord en Hauts-de-France et ensuite partout en France, le réseau amène les industriels, enseignes, créateurs, start-up... à penser le modèle de demain.

Après les collections capsules, les séries limitées, l'upcycling... c'est un nouveau projet qui anime Fashion Green Hub : l'Atelier Agile à Roubaix, amené à essaimer partout en France. Créé récemment sous forme de SAS à mission locale, ce projet est porté par quatre actionnaires – deux industriels (Lemahieu à Saint-André-lez-Lille et Les Tissages de Charlieu dans la Loire) et deux distributeurs (Blancheporte à Tourcoing et ID Group à Roubaix).

Un démonstrateur pour l'écosystème de la mode

«Nous voulons développer l'automatisation pour passer à une échelle industrielle. Les marques font un effort sur l'upcycling. Mais derrière, il faut savoir qu'il y a tout un travail préparatoire pour décomposer la matière. Forcément, cela a un impact sur le temps et le coût», explique Guillaume Aelion, directeur des opérations à l'Atelier Agile.

"L'objectif de l'Atelier Agile, c'est le zéro déchet", prône Guillaume Aelion, directeur des opérations.

Dans cette usine typiquement nordiste – baptisée "Le Plateau fertile" – se côtoient déjà un tiers-lieu, un espace de résidence pour des créateurs et un atelier de confection qui a vu le jour en 2019. Les objectifs de l'Atelier Agile sont clairs : produire, à terme, 250 000 m2 de tissus chaque année et passer de l'idée au projet en sept jours, avec des mini-séries préfabriquées à la demande.

«L'Atelier Agile va proposer une alternative à la spirale mortifère de la mode.» Labellisé par Euramaterials et soutenu par la Région Hauts-de-France, l'Atelier Agile est doté d'une aide de 600 000€, octroyée dans le cadre du PIA, pour un budget total de 1,4 M€.

4 millions de tonnes de textiles délaissées en Europe chaque année

C'est donc tout un écosystème à repenser : aujourd'hui, les marques commandent leurs collections 18 mois avant, avec pour conséquence un surplus en fin de saison et des produits invendus. L'idée de l'Atelier Agile, c'est de fabriquer au plus juste. «Nous en sommes à la troisième saison sur l'upcycling et, depuis 2016, on met en place des collections capsules à partir de linge de maison invendu pour environ 3 000 pièces. On souhaite industrialiser le processus pour améliorer le modèle économique», explique Corinne Devroux, directrice associée de l'offre chez Blancheporte.

Il faut dire que les chiffres ont de quoi faire peur : l'industrie de la mode produit 1,2 milliard de gaz à effet de serre par an (2% des émissions globales) ; depuis 1995, 200 000 emplois de la filière textile ont disparu ; toutes les secondes, l'équivalent d'un camion poubelle rempli de textile est détruit ; dans les années 1950, 20% du budget français était consacré au textile contre 5% aujourd'hui...

"Les métiers manuels apaisent l'esprit et recrutent !"

Il existe pourtant des solutions, et Guillaume Aelion en est persuadé : «Les vêtements sont devenus un bien jetable, consommable. Si chaque Français achetait seulement 80 g de textile français par an, cela créerait 4 000 emplois. Oui, à l'instant T le produit est plus cher, mais il faut comprendre que derrière, c'est davantage d'emplois, et cela a un impact vertueux.»

Ce principe, certains l'ont compris depuis bien longtemps, à l'image de Lemahieu à Saint-André-lez-Lille : «Le test and learn, c'est notre philosophie. Pour produire en France, il faut toujours être à la pointe. Grâce à la machine à impression numérique qui arrivera bientôt à l'Atelier Agile, on va pouvoir réaliser des petites séries sérigraphiées, maîtriser le processus et les quantités», explique Martin Breuvart, directeur général de l'entreprise de 135 salariés.

Lemahieu travaille à 70% pour des marques blanches et à 30% pour ses propres marques (Achel et Hekla), et tous ses clients défendent une consommation raisonnée, qu'il s'agisse du Slip Français, d'Archiduchesse... ou encore des professionnels comme Disney et Air France pour lesquels Lemahieu produit des tissus chauds.

L'entreprise Lemahieu, à Saint-André-lez-Lille, affiche un chiffre d'affaires de 8,1 M€ mais peine à recruter.

Reste à convaincre les consommateurs mais aussi à trouver les bons profils pour répondre à la demande. La filière textile est en tension, avec un déficit de formation malgré les nombreux débouchés. «On recrute sans cesse des couturières. Les métiers manuels apaisent l'esprit et recrutent !»

Vers une hybridation des modèles ?

Alors qu'au 1er janvier 2022, grâce à la loi économie circulaire, les marques ne pourront plus jeter ou brûler leur invendus, le secteur textile doit repenser son modèle et les consommateurs, être plus sensibilisés : «Il y a un problème d'offre. C'est un peu comme le vélo : beaucoup veulent s'y mettre mais il n'y a pas de pistes cyclables», explique Martin Breuvart.

Guillaume Aelion, de son côté, prône l'optimisme : «Pour qu'un produit soit estampillé 'made in France', plus de 80% de sa valeur doit être fabriquée sur le territoire. Un produit écoconçu va au-delà d'un coton bio. Je crois en une hybridation des modèles : on continuera toujours à acheter des produits qui viennent de loin, mais si on arrive à ce que le made in France représente 20 à 25% de la consommation textile, on créerait 100 000 emplois.»

Après Roubaix, il espère faire essaimer le concept partout en France, avec deux autres Ateliers Agiles et, à terme, une centaine sur le territoire. Alors que la production textile a été une des premières à être mondialisée, elle doit aujourd'hui s'affranchir de ce modèle pour aller vers une économie plus responsable, moins énergivore et plus ancrée dans les territoires, avec Roubaix comme chef de file.