Roubaix, démonstrateur de la mode de demain
Alors que la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde et que les vêtements sont
devenus des biens de consommation jetables, deux industriels et deux
distributeurs ont choisi d'aller à contre-courant en unissant leurs
forces pour produire à la demande. L'Atelier Agile, à Roubaix,
lancera ses premières productions courant 2022.
L'industrie de la mode doit repenser son modèle : cette transition inéluctable, Fashion Green Hub en a pris conscience depuis 2015. En regroupant plus de 300 membres, d'abord en Hauts-de-France et ensuite partout en France, le réseau amène les industriels, enseignes, créateurs, start-up... à penser le modèle de demain.
Après les collections capsules, les
séries limitées, l'upcycling... c'est un nouveau projet qui anime
Fashion Green Hub : l'Atelier Agile à Roubaix, amené à essaimer
partout en France. Créé récemment sous forme de SAS à mission
locale, ce projet est porté par quatre actionnaires – deux
industriels (Lemahieu à Saint-André-lez-Lille et Les Tissages de
Charlieu dans la Loire) et deux distributeurs (Blancheporte à
Tourcoing et ID Group à Roubaix).
Un démonstrateur pour l'écosystème
de la mode
«Nous
voulons développer l'automatisation pour passer à une échelle
industrielle. Les marques font un effort sur l'upcycling. Mais
derrière, il faut savoir qu'il y a tout un travail préparatoire
pour décomposer la matière. Forcément, cela a un impact sur le
temps et le coût», explique Guillaume Aelion, directeur des opérations à l'Atelier
Agile.
Dans
cette usine typiquement nordiste – baptisée "Le Plateau fertile" –
se côtoient déjà un tiers-lieu, un espace de résidence pour des
créateurs et un atelier de confection qui a vu le jour en 2019. Les
objectifs de l'Atelier Agile sont clairs : produire, à terme, 250
000 m2
de tissus chaque année et passer de l'idée au projet en sept jours,
avec des mini-séries préfabriquées à la demande.
«L'Atelier
Agile va proposer une alternative à la spirale mortifère de la
mode.» Labellisé par
Euramaterials et soutenu par la Région Hauts-de-France, l'Atelier
Agile est doté d'une aide de 600 000€, octroyée dans le cadre du
PIA, pour un budget total de 1,4 M€.
4
millions de tonnes de textiles délaissées en Europe chaque année
C'est
donc tout un écosystème à repenser : aujourd'hui, les marques
commandent leurs collections 18 mois avant, avec pour conséquence un surplus en fin de saison et des produits invendus. L'idée de
l'Atelier Agile, c'est de fabriquer au plus juste. «Nous
en sommes à la troisième saison sur l'upcycling et, depuis 2016, on
met en place des collections capsules à partir de linge de maison
invendu pour environ 3 000 pièces. On souhaite industrialiser le
processus pour améliorer le modèle économique», explique Corinne Devroux, directrice associée de l'offre chez
Blancheporte.
Il
faut dire que les chiffres ont de quoi faire peur : l'industrie de la
mode produit 1,2 milliard de gaz à effet de serre par an (2%
des émissions globales) ; depuis 1995, 200 000 emplois de la filière
textile ont disparu ; toutes les secondes, l'équivalent d'un camion
poubelle rempli de textile est détruit ; dans les années 1950, 20%
du budget français était consacré au textile contre 5% aujourd'hui...
"Les métiers manuels apaisent l'esprit et recrutent !"
Il
existe pourtant des solutions, et Guillaume Aelion en est persuadé :
«Les vêtements sont devenus un bien jetable, consommable. Si
chaque Français achetait seulement 80 g de textile français par an,
cela créerait 4 000 emplois. Oui, à l'instant T le produit est
plus cher, mais il faut comprendre que derrière, c'est davantage
d'emplois, et cela a un impact vertueux.»
Ce
principe, certains l'ont compris depuis bien longtemps, à l'image de
Lemahieu à Saint-André-lez-Lille : «Le
test and learn, c'est notre philosophie. Pour produire en
France, il faut toujours être à la pointe. Grâce à la machine à
impression numérique qui arrivera bientôt à l'Atelier Agile, on va
pouvoir réaliser des petites séries sérigraphiées, maîtriser le
processus et les quantités», explique Martin Breuvart, directeur général de l'entreprise de 135
salariés.
Lemahieu
travaille à 70% pour des marques blanches et à 30% pour ses propres
marques (Achel et Hekla), et tous ses clients défendent une
consommation raisonnée, qu'il s'agisse du Slip Français,
d'Archiduchesse... ou encore des professionnels comme Disney et Air
France pour lesquels Lemahieu produit des tissus chauds.
Reste
à convaincre les consommateurs mais aussi à trouver les bons
profils pour répondre à la demande. La filière textile est en tension, avec un déficit de
formation malgré les nombreux débouchés. «On
recrute sans cesse des couturières. Les métiers manuels apaisent
l'esprit et recrutent !»
Vers
une hybridation des modèles ?
Alors qu'au 1er janvier 2022, grâce à la loi économie circulaire, les marques ne pourront plus
jeter ou brûler leur invendus, le secteur textile doit repenser son
modèle et les consommateurs, être plus sensibilisés : «Il
y a un problème d'offre. C'est
un peu comme le vélo : beaucoup veulent s'y mettre mais il n'y a pas
de pistes cyclables», explique Martin Breuvart.
Guillaume
Aelion, de son côté, prône l'optimisme : «Pour
qu'un produit soit estampillé 'made in France', plus de 80% de sa
valeur doit être fabriquée sur le territoire. Un produit écoconçu
va au-delà d'un coton bio. Je crois en une hybridation des modèles
: on continuera toujours à acheter des produits qui viennent de loin, mais si on arrive à ce que le made in France représente 20 à 25%
de la consommation textile, on créerait 100 000 emplois.»
Après
Roubaix, il espère faire essaimer le concept partout en France, avec deux
autres Ateliers Agiles et, à terme, une centaine sur le territoire.
Alors que la production textile a été une des premières à être
mondialisée, elle doit aujourd'hui s'affranchir de ce modèle pour
aller vers une économie plus responsable, moins énergivore et plus
ancrée dans les territoires, avec Roubaix comme chef de file.