Agents publics
Qui doit statuer sur une demande de protection fonctionnelle visant la hiérarchie ?
Le principe de la protection fonctionnelle permet à tout agent public (et même au-delà) de pouvoir bénéficier de la protection de son employeur pour tout dommage ou attaque subis en raison ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Toutefois, lorsque l’attaque consiste en des faits de harcèlement (moral ou sexuel) commis par la hiérarchie, voire par l’exécutif de la collectivité, vers qui l’agent public doit-il se tourner ? Une récente décision de la Cour administrative d’appel de Paris fait le point sur cette question*.
Le principe de la protection fonctionnelle
Désormais codifié à l’article L 134-1 du Code général de la Fonction publique (CGFP), le droit à la «protection fonctionnelle» implique que chaque agent public (y compris contractuel, donc) puisse accéder à la protection de son employeur lorsque, dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, celui-ci subit des attaques ou dommages quelconques.
La demande doit être faite par l’agent victime auprès de son employeur, c’est-à-dire la personne ayant le pouvoir de nomination, en cas de dommage matériel, psychologique ou, bien sûr, corporel. Elle concerne donc les attaques physiques par des administrés à l’encontre de la personne de l’agent public ou celles matérielles visant les biens de l’agent (classiquement, sa voiture). La demande peut également être faite en cas de dommage subit par un proche de l’agent, dès lors qu’il est possible de lier l’attaque aux fonctions de celui-ci.
La protection offerte par l’employeur doit être efficace et à même de prévenir, faire cesser eu/ou de réparer le dommage. Le plus souvent, cette protection prend la forme d’un paiement des honoraires de l’avocat choisi par l’agent pour le représenter dans l’engagement des actions à l’encontre des auteurs des faits. Elle peut toutefois aller bien au-delà : réparation du préjudice financier, moral ou physique, déplacement de l’agent, poursuite (éventuellement pénales) des personnes responsables. Il a même été jugé que cette protection pouvait consister, pour l’employeur d’un agent publiquement diffamé, à lui permettre de publier un droit de réponse dans un journal local (CE, 24 juillet 2019, n° 430253). … Si dans sa demande, l’agent peut suggérer les formes de la protection, c’est en revanche à l’employeur d’évaluer quelles actions sont les plus adéquates.
Application pour des faits de harcèlement
Le harcèlement moral à l’encontre d’un agent public est défini comme un ensemble «d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel». Il s’agit bien entendu d’un délit pénalement répréhensible, mais aussi d’une faute disciplinaire qui autorise une radiation des cadres.
Dans la fonction publique, le harcèlement moral est presque exclusivement le fait de collègues ou de la hiérarchie de l’agent. Ces faits entrent dans le champ d’application de la protection fonctionnelle (CE, 23 décembre 2014, n° 358340).
Ainsi, lorsqu’il subit des faits de harcèlement moral, l’agent public peut, à raison, solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle. Les formes de la protection sont nécessairement adaptées à ces attaques d’un genre particulier : déplacement ou mutation de l’agent victime, ou inversement, de l’agent ou des agents harceleurs, réparation financière, paiement des frais d’avocat, engagement de procédures pénales et surtout disciplinaires à l’encontre des agents responsables… les actions peuvent être multiples.
En cas de rejet de la demande, le juge adapte la charge de la preuve. Il estime que «l’intéressé qui conteste cette décision doit soumettre au juge des éléments de faits susceptibles d’en faire présumer l’existence, à charge pour l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement».
Une nécessaire conjugaison avec le principe d’impartialité
Bien souvent, les faits de harcèlement sont le fait de la hiérarchie de l’agent victime. Parfois, pour les collectivités, ces faits proviennent même directement de l'exécutif local (maire, président d’établissement public …). En théorie, l'agent victime est donc contraint de solliciter sa protection … à la personne même dont il s’estime victime. Un comble, qui ne se résolvait, jusqu’à récemment, qu’à la suite d’un passage devant le Tribunal administratif qui annulait le refus de protection fonctionnelle et enjoignait à l’autorité en cause d’accorder cette protection.
Le conseil d’Etat a mis fin à cette situation ubuesque par une décision du 29 juin 2020, dans laquelle il énonce que «Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné» (CE, 29 juin 2020, n°423996).
L’exécutif n’a donc pas la possibilité de statuer sur la demande de protection du fonctionnaire. Mais alors, qui le peut ? La Cour administrative d’appel de Paris, s’appuyant sur le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 portant application de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, estime que, dans ce cas précis, l’exécutif local doit prendre «un arrêté désignant l'adjoint qui sera chargé de se prononcer, en toute indépendance, (…) sur la demande de protection fonctionnelle». En conséquence, la Cour enjoint au maire de prendre cet arrêté et à cet adjoint d'examiner la demande, dans le délai d'un mois à compter de sa désignation.
* CAA Paris, 26 janvier 2024, 22PA04963, C+.