Dossier spécial décideurs

Norsys, ou quand l'éthique s'empare du numérique

Entreprise de services numériques (ESN) fondée en 1994 par Sylvain Breuzard, Norsys est aux antipodes d'une ESN classique. Première entreprise régionale à avoir été certifiée B Corp, l'ETI de 600 salariés ne fonde pas son business sur une croissance fulgurante. Portrait de Mathilde Durie, sa dirigeante depuis trois ans.

Mathilde Durie, dirigeante du groupe Norsys, une Entreprise de Services Numériques basée à Ennevelin. © Lena Heleta
Mathilde Durie, dirigeante du groupe Norsys, une Entreprise de Services Numériques basée à Ennevelin. © Lena Heleta

La Gazette Nord-Pas-de-Calais. Vous êtes chez Norsys depuis 17 ans et il y a trois ans, vous avez pris la direction générale du groupe, toujours présidé par Sylvain Breuzard, son fondateur. C'était une suite logique ?

Mathilde Durie. Je suis arrivée chez Norsys en tant qu'alternante RH. On peut le dire, je suis un 'pur produit Norsys !'. Il y a huit ans, j'ai intégré le Centre des Jeunes Dirigeants, pour m'inspirer de ce qui se passe ailleurs. J'ai d'ailleurs été la première femme à présider la section lilloise (depuis, le CJD Lille Métropole n'a que des femmes comme présidentes, ndlr) et aujourd'hui je fais également partie du Comité Exécutif au niveau national. Il est vrai que cela semble atypique de partir des ressources humaines pour arriver à la direction générale mais cela a finalement du sens : Norsys est guidée par une vision humaniste.

Justement, quel est le métier de Norsys ?

Nous sommes une Entreprise de Services Numériques (ESN) : nous vendons des prestations informatiques à des grands groupes – essentiellement en France – et de part notre ancrage régional, on travaille beaucoup dans le retail. Nous avons aussi une expertise sur la santé et la protection sociale, à raison de 40% de notre chiffre d'affaires. De façon plus générale, Norsys travaille autant pour le secteur privé que pour le secteur public. On développe par exemple des applications métiers spécifiques, on aide à la réalisation et à la maintenance du parc applicatif.

Nous participons par exemple, avec d'autres acteurs de l'informatique, à la mise en œuvre de la stratégie de leur système d'information, avec la gestion de la plateforme de remboursement du site Ameli.fr, ou encore la plateforme Agir pour la Transition Ecologique de l'Ademe.

Vous vous définissez comme une ESN «utile et efficace». Au-delà des beaux mots, qu'est-ce que cela signifie ?

Sur l'exemple que je viens de vous citer, contribuer au remboursement du système de santé, pour Norsys, c'est du numérique utile. En fait, quand on parle de contribuer à des systèmes informatiques utiles et efficaces, cela passe par des secteurs d'activité qui ont du sens. Nous y accordons énormément d'importance, notamment depuis l'émergence de notre raison d'être. 2019 a été une année importante pour nous : nous sommes devenus société à mission et avons été labellisés B Corp, la toute première entreprise régionale à l'avoir été.

©Lena Heleta

Revenons sur Sylvain Breuzard, le fondateur de Norsys, qui a développé son propre modèle économique – la permaentreprise –, qu'il a d'ailleurs, théorisé dans un ouvrage1. Une permaentreprise, c'est quoi ?


Elle se base sur les principes de la permaculture : prendre soin des humains, préserver la planète, se fixer des limites et partager les surplus. Globalement, c'est trouver un modèle d'entreprise viable dans la société dans laquelle on vit, pour un futur vivable. La stratégie de Norsys, c'est d'avoir de la valeur ajoutée en fonction des évolutions technologiques de la société mais avec une forte dimension éthique. Lorsqu'une nouvelle technologie émerge, on va essayer d'en faire une opportunité, en ayant une réflexion éthique en amont.

Mais sur un secteur du numérique qui reste très immatériel, comment fait-on ?

Le numérique va prendre de plus en plus d'importance dans les émetteurs de carbone : aujourd'hui, il représente 2,5% de l'empreinte carbone de France2. Dans les années à venir, on prévoit qu'il soit dans le top 3 des émetteurs de carbone et cela, on l'appréhende difficilement. Clairement, le numérique est chronophage en termes d'émissions carbone. Qui aujourd'hui, quand il envoie des dizaines de mails par jour pense à cela ? On a plutôt l'habitude de penser aux déchets, à la fast fashion, mais pas à son empreinte numérique.

Cela veut dire qu'il faut faire preuve de pédagogie ?

Nous ne sommes pas dogmatiques. On accompagne nos clients pour définir les besoins les plus utiles. Avec le Covid, il y a clairement eu une accélération du tout numérique : nous ne sommes fondamentalement pas contre mais nous avons une réflexion en amont pour un usage du numérique utile, efficace et éthique. Une fois qu'on a défini les fonctionnalités d'une application, on pense à l'éco-conception des solutions numériques. Par exemple, il faut que les lignes de code soient réutilisables : Norsys n'est pas pérenne sur un projet, la personne qui prendra en main le projet après nous doit pouvoir réutiliser ces codes. On s'interroge aussi sur sa fin de vie.

"On pense rarement à son empreinte carbone numérique"

C'est un peu comme les vêtements et la seconde main. Si des outils numériques ne sont plus utilisés, comment fait-on pour qu'ils soient complètement effacés ? On aide le client à se poser les bonnes questions pour que la fonctionnalité qu'il ait définie soit utile, utilisable et utilisée. Cela fait deux ans que l'on forme nos équipes aux bonnes pratiques.

Parlons chiffres, Norsys compte combien de collaborateurs ?

Nous sommes 750 collaborateurs – dont 150 sur notre siège d'Ennevelin – sur 10 sites en France et deux au Maroc. En 2007 on était 100 ! Mais surtout, notre turn over n'est que de 10% alors qu'il est de 20 à 30% dans le domaine des ESN.

Pensez-vous que cela est dû à votre modèle de gouvernance ?

A la fois, on rejoint Norsys pour son modèle de développement incluant de l'innovation dans nos métiers et un numérique efficace et à la fois, vivre à Norsys c'est prendre conscience de certaines choses. Ce qui plaît aux collaborateurs, c'est la liberté de choisir. Je n'ai pas la prétention d'être là pour rendre heureux les collaborateurs mais je vais créer des dispositifs pour qu'ils soient des acteurs ou pour mener des actions qui ont du sens, ou pour faire un métier numérique responsable.

Est-ce qu'être une permaentreprise, c'est aussi ne pas être en quête absolue de rentabilité ?

Aujourd'hui, notre chiffre d'affaires s'élève à 57 M€ (contre 51,2 en 2022). On peut dire ça. Ce que la permaentreprise prône c'est une croissance juste. C'est pour cela que quand on me demande les perspectives de chiffre d'affaires, je ne sais pas vous le dire. Evidemment, c'est important pour nous mais nous n'en faisons pas une fin en soi. D'ailleurs, je ne fixe pas d'objectifs aux agences, ce sont elles qui se fixent leurs propres objectifs. J'ai un objectif de rentabilité mais pas de chiffre d'affaires. Pour autant, notre chiffre d'affaires augmente chaque année...

Mais attention, le monde de Norsys n'est pas parfait ! J'aime que l'on retienne que l'on cherche à oser et à faire différemment, à travailler avec tout client qui aura envie de faire du chemin ensemble.