Philippe Simoneau, l'avocat de la liberté d'expression

Le nouveau bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Lille a pris ses fonctions le 2 janvier dernier. Pour La Gazette Nord-Pas-de-Calais, celui qui exerce depuis 37 ans revient sur son parcours et nous livre ses ambitions et projets. 

Maître Philippe Simoneau, bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Lille. © Lena Heleta
Maître Philippe Simoneau, bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Lille. © Lena Heleta

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

Philippe Simoneau. Je suis nantais d'origine. Mais quand j'ai voulu faire mes études de droit à Nantes, il y avait des grèves constantes et incessantes. Donc j'ai travaillé un an dans une entreprise en sortant du bac. Ensuite, je suis arrivé dans le Nord, à Lille, dans la famille de ma mère.

Mes deux domaines d’intervention principaux sont d'une part, la concurrence distribution pour les grandes enseignes. Et d’autre part, le droit pénal dit des affaires, l’éthique et la compliance. J'interviens au soutien des intérêts des sociétés et des collectivités, de leurs dirigeants ou de leurs collaborateurs, des élus et des agents que ce soit dans des dossiers de répression des fraudes, d'accidents du travail, de non-conformité de produits, d'abus de confiance, d'escroqueries, de corruption, de harcèlement…

Vous êtes également avocat enquêteur. En quoi cela consiste-t-il ?

Lorsqu'à la demande d'une victime ou d'un lanceur d'alerte la société ou la collectivité publique fait ce que l'on appelle «une enquête interne», mon cabinet intervient pour faire cette enquête. Nous procédons à une enquête et rédigeons un rapport au terme duquel nous venons dire si les faits portés à la connaissance de l'employeur sont susceptibles de trouver une qualification, de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel par exemple. L'employeur est en effet tenu à l'obligation d'assurer la santé et la sécurité de ses agents ou de ses salariés. S'il ne le fait pas et s'il ne le fait pas rapidement, il peut engager sa propre responsabilité. Ces missions font partie des nouveaux métiers de l'avocat qui a un vrai savoir-faire dans ce domaine.

Vous avez dit vouloir donner à votre bâtonnat le sens des valeurs et de la Justice. «Les avocats sont des acteurs de Justice, pas des auxiliaires». Pouvez-vous développer ?

Un auxiliaire, selon les définitions de nos dictionnaires, «aide par son concours, sans être indispensable», au fonctionnement quotidien du service public de la Justice… J’ai la faiblesse de penser et la volonté d’affirmer que les avocats sont indispensables au fonctionnement de la Justice.

Nous sommes de vrais acteurs de Justice, nous participons au nom et pour le compte des justiciables à ce que la Justice se déroule le plus efficacement possible, dans les meilleures conditions, en respectant les droits de chacun, que ce soit au civil, au commercial ou au pénal. Et cela doit se faire dans le respect des magistrats, des greffiers, de toutes les personnes avec qui la Justice va fonctionner. Il faudra bien changer un jour cette appellation mal contrôlée et inadaptée. Cet intitulé n’a d’ailleurs jamais permis une bonne compréhension des rôles de chacun dans le fonctionnement de la Justice et n’a pas facilité les rapports entre certains magistrats et certains avocats.

Le 24 janvier, le tribunal de Lille a affiché son soutien aux avocats en danger partout dans le monde, avec un soutien particulier à Sonia Dahmani, avocate tunisienne emprisonnée depuis neuf mois pour s'être opposée au régime du président Kaïs Saïed. Vous défendez également bec et ongles la liberté d'expression…

Sonia Dahmani est emprisonnée, non pas pour s’être opposée au président, mais pour quelques mots ! Pour avoir osé parler du racisme dans son pays. Le Barreau de Lille, comme tous les Barreaux de France et les instances représentatives de la profession, se sont mobilisés et sont engagés pour soutenir Sonia qui a été élue membre d’honneur de notre Barreau. Sonia Dahmani fait désormais partie des nôtres et nous ne l’abandonnerons pas. Elle est détenue dans des conditions indignes et inhumaines qui mettent sa vie en danger. Il faut appeler nos gouvernants et tous nos représentants politiques ou d’associations, nos élus et tous les citoyens à réagir et à demander sa libération immédiate.

«L’IA libère du temps pour l’essentiel : l’expertise, la stratégie et l’humain»

S’agissant de la liberté d’expression, je trouve que le bâtonnier, là aussi – au nom des avocats et avec eux – , a un rôle dans la Cité. Je pense que c'est très important : le soutien à la profession et à tout ce qui concerne le respect d'un certain nombre de valeurs fondamentales en font partie. Comme vous le savez, je dessine ou plutôt je croque et j'écris un peu, notamment autour de tout ce qui concerne la liberté d'expression. Mon nouveau statut de bâtonnier me permet juste de continuer à défendre encore un peu plus la liberté d’expression. Car il faut rester vigilant. Je suis très soucieux de ce qui se passe aujourd'hui dans la société, le manque d'éducation, de savoir-vivre ensemble, d’écoute de ceux qui ne pensent pas comme vous, etc. Je pense que l'avocat a un rôle dans la société pare que éducation, Justice, vivre ensemble, défense des libertés ; tout est lié. Et j’ai ce rêve un peu fou, avec d’autres de mes confrères et de mes amis, que le 7 janvier, jour des attentats de Charlie Hebdo, devienne une journée nationale de la liberté d’expression.

Lors de la passation, vous avez dit vouloir pousser les avocats du barreau lillois «à s'adapter à vitesse grand V», sur l'IA. Pouvez-vous expliciter ?

Oui, parce que le bâtonnier du barreau de Lille est là aussi et surtout pour s'occuper des avocats lillois ! Nous travaillons également avec tous les autres bâtonniers de France, et ça, c'est une chance. Pouvoir se rencontrer et échanger. C'est très important, ce travail commun que l'on fait pour l’ensemble de la profession, pour aller tous dans le bon sens.

Il est indispensable que les avocats s'adaptent. On n'a pas tant de retard que cela dans le domaine de l’IA ; mais il faut vraiment que l'on s'informe et que l'on se forme sur l'utilisation de ces nouveaux moyens. Je l'ai expérimenté : on gagne un temps considérable. Il faut que l'on apprenne à travailler avec ces outils qui sont mis à notre disposition, comme la data, c’est-à-dire les données numériques, qui nous permettent de dégager du temps pour apporter notre plus-value. L’IA libère du temps pour l’essentiel : l’expertise, la stratégie et l’humain. L’avocat d’aujourd’hui, et plus encore de demain, n’est pas un simple technicien du droit, il est un décideur, un stratège et un accompagnateur de confiance pour ses clients. Les formations sont donc indispensables pour que les avocats du barreau de Lille s'adaptent et utilisent ces moyens. Nous venons d'ailleurs de signer une convention avec un prestataire de manière à ce que tous les avocats du barreau puissent gratuitement bénéficier d'un accès à l'utilisation de ces moyens pour travailler avec la jurisprudence, les statistiques, les données, quelle que soit la taille de leur cabinet, en individuels ou groupés.

Vous souhaitez également voir progresser les modes alternatifs de règlement des différends (MARD)…

Je fais le même constat depuis presque 40 ans : la Justice manque de moyens sur le plan fonctionnel, structurel, humain et financier. Les tribunaux sont encombrés, les délais sont trop longs, etc. Il y a pourtant des solutions pour remédier à ces problèmes ; ce sont les MARD. Dans tous les domaines du droit, c’est la possibilité de travailler d'avocat à avocat, avec les parties, pour régler le litige qui est le leur. On dit souvent en France qu'un «mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès». Pour moi, «il vaut mieux un bon arrangement qu'un procès qui dure !». 

Nous sommes parfaitement capables de trouver non pas de mauvais arrangements mais des arrangements équilibrés pour toutes les parties. Dans mon cas, je négocie 50 à 60% des contentieux qui nous sont soumis. Les Français doivent comprendre que la Justice peut être rendue par quelqu'un d'autre que le juge. Non pas que l'on supprime les juges ; ils sont indispensables et seront toujours là. Mais il y a un certain nombre de contentieux qui pourraient être réglés de cabinet d'avocat à cabinet d'avocat. Cela demande un changement de mentalité du justiciable, et quand je parle du justiciable, je parle de la personne privée, mais je parle aussi des sociétés ou des collectivités. Une fois que le justiciable et les avocats auront réussi à mettre tout cela en place, je pense que l'on pourra réduire le nombre de retards et les délais dans la Justice. Nous avons plein d'outils procéduraux à disposition. Je pense qu'il y en a peut-être même trop et que le premier travail des barreaux consiste à faire un état des lieux ! C'est l'une des choses sur lesquelles notre commission MARD lilloise travaille.

Pouvez-vous dire un mot sur le projet de nouvelle cité judiciaire, avec le couac du sous-dimensionnement et le déménagement reporté ?

Je trouve que l'idée de construire une grande cité judiciaire à Lille était intelligente, sauf que c'est un véritable fiasco. Cela fait sept ans qu'on leur dit que ce n'est pas adapté, que ça ne va pas aller. Tout cela en concertation et main dans la main avec les magistrats et les greffiers. Nous disons tous : 'Écoutez-nous quand vous construisez un palais de Justice ; nous y travaillons ; nous sommes en mesure de vous dire ce qu'il faut'. On ne nous répond pas. Le nouveau palais de Justice va sans doute être très beau, voire magnifique, signé d'un architecte connu, sauf qu’il est trop petit et n'est pas adapté. C’est invraisemblable qu’en 2025, on construise un palais de Justice inadapté. Pour moi, c'est l'absurdité poussée à l'extrême.