Olivier Macarez : «Il faut nous laisser le temps de réinventer le textile de demain»
Élu en juin 2022 pour un mandat de trois ans à la tête de l'Union des industries textiles et de l'habillement (UITH Nord), Olivier Macarez est aussi co-dirigeant de l'entreprise Subrenat, à Mouvaux. Alors que la filière textile-habillement souffre d'une baisse avérée de la consommation, Olivier Macarez espère une main tendue des pouvoirs publics pour permettre au secteur de rebondir et de continuer de miser sur ses savoir-faire avérés et... uniques.
Pouvez-vous nous présenter l'UITH Nord ?
OM. C'est
l'Union des industries textiles et de l'habillement, qui couvre les
Hauts-de-France et la Normandie. Nous sommes 150 entreprises – qui
pour la plupart ont moins de 20 salariés –, représentant 14 000
collaborateurs. Cela va des textiles techniques en passant par l'ameublement, le textile de maison et évidemment par les
industriels, qu'ils soient tisseurs, ennoblisseurs, teinturiers...
Avec notre équipe très dynamique de cinq collaborateurs, on défend
les intérêts de la filière textile au niveau régional, mais aussi
national. Nous mettons à disposition de nos adhérents et de
l'ensemble de la filière textile un écosystème performant pour
qu'ils puissent travailler sur les sujets de l'IA, de la marque
employeur, de l'innovation, de la veille technologique et
réglementaire... Tout cela a été matérialisé dans la Textile
Valley, qui réunit à Tourcoing l'ensemble des structures de l'écosystème (le CETI, Euramatérials, UITH, etc.).
Parallèlement à l'UITH Nord, il y a
aussi Promotex, pour la promotion de la filière auprès des écoles
et des organismes de recrutement. De mon côté, en tant que
président, je fais remonter les informations au syndicat national,
l'UIT, qui compte 500 adhérents.
Et justement, quel est le moral des troupes alors que le marché de l'habillement est en baisse depuis le covid ?
Dans un premier temps, il faut distinguer l'habillement (avec le prêt-à-porter) et le textile, qui n'ont pas du tout le même process. On a toujours tendance à faire l'amalgame avec l'habillement car c'est le textile que l'on voit le plus ! On ne peut pas parler du textile mais DES textiles. Et le textile, on le voit partout : dans l'automobile, dans l'industrie, dans la santé...
Clairement, nos adhérents sont
inquiets. L'habillement de moyenne gamme souffre avec la baisse du
pouvoir d'achat. Le luxe à la française fonctionne toujours bien,
malgré une baisse des activités. Concernant le linge et
l'équipement de la maison, après deux années post-covid
excellentes car les consommateur ont refait leur intérieur, c'est
plus difficile aujourd'hui. Mais cela devrait revenir.
Je reste optimiste.
Qu'en est-il du made in France, largement plébiscité durant et après la crise sanitaire ?
On parle de produits
durables et de seconde main, évidemment ce sont de bonnes choses. Mais l'arrivée de marques de fast fashion fait du mal à l'industrie
textile. Comme dans tous les secteurs, on a subi une forte hausse des
coûts – deux à trois fois plus élevée qu'avant la guerre en
Ukraine.
Tous les consommateurs
aimeraient acheter du made in France, du bio, du local, mais il faut
pouvoir le faire et en période d'inflation, c'est difficile. Malgré
tout, la volonté progresse. De plus en plus de marques s'intéressent
au made in France : le luxe, par exemple, pour des questions de
traçabilité et d'image, a envie de produire davantage en France. Il
y a une tendance de fond mais ça ne remplit pas nos usines, il faut
passer cette période compliquée mais nous avons bon espoir !
Vous attendez un geste des pouvoirs publics pour soutenir la filière ?
On a moins de demandes et on a aussi perdu en compétitivité. Alors oui, on a besoin des politiques pour nous soutenir. Nous sommes entendus et ils sont conscients de notre situation, mais on les sent démunis par rapport à la prise d'initiatives. En région, nous sommes très bien soutenus. Mais il faut aller plus loin. Sur des questions comme l'énergie ou l'inflation, c'est au niveau national ou européen que cela se décide. C'est pareil sur les réglementations : on en a une tonne mais on laisse entrer des produits qui ne les respectent pas ! C'est comme pour les agriculteurs !
Je pense aussi aux PGE (Prêts garantis
par l'État) à rembourser... il faut tout de même rappeler qu'ils
n'ont pas servi à payer des investissements mais à payer les
salaires alors que les entreprises ne travaillaient pas. C'est une
aberration : on nous demande de les rembourser sur cinq ans, avec
d'importantes échéances sur des entreprises déjà fragilisées.
Pourquoi ne pas espacer sur 10 ou 20 ans pour préserver les
entreprises ?
Quels sont les perspectives pour la filière ?
Malgré tout, il y en a beaucoup et
nous avons la chance d'avoir un écosystème très dynamique en
région. Je rappelle d'ailleurs que les Hauts-de-France sont la
seconde région du textile en France, derrière Auvergne-Rhône-Alpes.
Déjà, on a un essor de plus en plus important des textiles
techniques. On peut citer par exemple Dickson Constant, à Wasquehal,
qui est une des seules ETI du secteur textile en Hauts-de-France. Ou
encore Cousin Trestec et Cousin Biotech.
J'ai un grand espoir sur la dynamique
RSE de la filière, pour mettre en place des solutions plus
vertueuses avec un moindre impact, notamment sur le recyclage.
Aujourd'hui on est prêts. On sait produire, recycler mais sans avoir
encore trouvé le modèle économique qui nous permet de faire des
volumes. Aujourd'hui, un produit de seconde génération coûte plus
cher qu'un produit de première génération. Il faut faire baisser
le coût de revient. On a la technologie et les gisements grâce aux
éco-organismes et aux efforts des consommateurs, mais pas le business
model avec des prix acceptables. Encore une fois, on n'y arrivera pas
sans une aide des pouvoirs publics pour, par exemple, construire des
outils industriels ou valoriser les entreprises qui font des produits
issus du recyclage. Car
je crois en la renaissance de l'industrie française sur cette
activité.
On parle de plus en plus de textiles à partir de matériaux bio-sourcés, où en est-on ?
Il y a beaucoup de produits
issus de l'agriculture (lin, chanvre, ortie, cellulose...) qu'il est
possible de transformer localement pour en faire des matériaux
bio-sourcés, soit de travailler sur des matières pures comme le lin
ou le chanvre. Sur le lin, on a clairement une longueur d'avance. 60
à 70% de la production mondiale est réalisée dans les
Hauts-de-France, la Normandie et la Belgique. Des filatures se
montent, je pense par exemple à Safilin à Béthune ou à Natup en
Normandie. Parce que c'est un non-sens de produire du lin ici pour
l'envoyer en Asie ou en Europe pour revenir ici.
En fait, il faut nous laisser le temps de réinventer le textile de demain ! Si on veut réinventer la mode et sortir de la fast fashion, il faudra passer par l'industrie locale.