Les juges consulaires depuis lundi « en cessation d’activité »

Mécontents du sort que leur a réservé le projet de loi Macron avec notamment la mixité et la spécialisation des chambres, les juges consulaires ont engagé un mouvement de cessation d’activité depuis lundi dernier. Explications

Eric Feldmann.
Eric Feldmann.
D.R.

Eric Feldmann.

Les juges consulaires depuis lundi “en cessation d’activité”. Mécontents du sort que leur a réservé le projet de loi Macron avec notamment la mixité et la spécialisation des chambres, les juges consulaires ont engagé un mouvement de cessation d’activité depuis lundi dernier.

Explications.« Les tribunaux de commerces de toute la France, à partir du lundi 8 décembre, vont suspendre leurs activités juridictionnelles », a annoncé il y a une semaine Eric Feldmann, président du tribunal de commerce de Lille Métropole, le plus important de la région et quatrième de France. En clair, depuis lundi dernier, les 3 200 juges des 134 tribunaux de commerce ont mis en application la motion votée à la quasi-unanimité en avril et réaffirmée le 28 novembre à l’occasion de leur congrès national à Nice. Conséquence de ce mouvement prévu a priori pour une durée illimitée : le report des affaires inscrites à l’audience à une date non déterminée, mais avec l’espoir d’une reprise qui pourrait intervenir, « en fonction de la compréhension des autorités », peut-être avant la période des vacations judiciaires de fin d’année qui court du 20 décembre au 5 janvier.

Deux griefs essentiels. Pourquoi ce signal de mécontentement ? Comme nombre d’autres professions juridiques, les juges consulaires sont cités dans le projet de loi émanant du ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, plus connu sous l’appellation de projet de loi Macron, « pour l’activité et l’égalité des chances économiques »  et qui a été présenté en conseil des ministres ce mercredi 10 novembre. Ils déplorent que ce projet n’ait « tenu aucun compte de la motion votée à la quasi-unanimité par les juges consulaires en avril dernier ». Ils refusent ainsi « l’instauration, dans chaque cour d’appel, de chambres commerciales mixtes dans lesquelles sera désigné par le premier président un assesseur juge des tribunaux de commerce », instauration « qui n’est réclamé par personne et qui, dans les faits ne sera d’aucune utilité ». Ils craignent par-dessus-tout que cette disposition ne soit le prétexte à un amendement parlementaire instaurant sur la base du principe du parallélisme des formes la mixité dans le premier degré des juridictions.
Autre grief important, l’institution, « dans le ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, d’un tribunal de commerce spécialisé lorsque le nombre de salariés ou le chiffre d’affaires de l’entreprise en difficulté sont supérieurs à des seuils fixés en Conseil d’Etat. » Les juges consulaires craignent là que cette spécialisation automatique ne soit la porte ouverte à « une justice à 2 vitesses, à 2 degrés d’intérêt », comme l’a expliqué Eric Feldmann qui a mis en exergue la présence « à chaque audience d’importance du ministère public avec un Parquet particulièrement attentif à la chose économique et qui met à notre disposition une section économique avec 3 parquettiers… », pour mieux rappeler que le tribunal de commerce de Lille n’hésitait pas à demander la délocalisation de dossiers dès lors qu’il pourrait y avoir la moindre menace de partialité ou de conflit d’intérêt.
Dans le collimateur aussi des juges consulaires, la partie du projet de loi qui traite du statut du juge consulaire  dont la rédaction témoignerait « d’une sorte de mépris » à leur égard, mais aussi, au-delà de leurs intérêts directs, la création imposée d’une « profession unique de l’exécution » qui, tel un cocktail, va regrouper les fonctions de commissaires-priseurs, d’huissiers de justice et de mandataires de justice représentants des créanciers ou liquidateurs, « autant de métiers bien spécifiques ». Mandataires et administrateurs judiciaires, déjà en grève depuis le 28 novembre, ont été rejoints dans leur mouvement par les greffiers de commerce le 3 décembre, alors que les avocats annonçaient une grève totale pour le 10 décembre…

Quelle sortie de crise ? Remontés contre un projet Macron « fait sous la pression, sans aucun concertation » et malgré les efforts de Mme Taubira qui « a essayé de nous persuader le vendredi 28 à Nice de l’intérêt de l’échevinage jusqu’à annoncer avoir obtenu l’accord du Premier ministre pour retirer les tribunaux de commerce du projet de loi, propos que ses services n’ont pu confirmer aux représentants de la profession le mardi 2 décembre »,  les juges consulaires se sont engagés dans ce mouvement de cessation d’activité « sans gaieté de cœur ». A l’instar d’Eric Feldmann, ils invitaient les pouvoirs publics à « sortir du projet de loi la spécialisation des chambres et la mixité en cours d’appel » et « à se mettre autour d’une table pour envisager ensemble les réformes indispensables ». « Nous sommes pour une concertation équilibrée, transparente et prenant en compte les aspects d’une justice commerciale plus efficace », insistait Eric Feldmann.
Sera-t-il entendu, ou faudra-t-il attendre comme il y a 12 ans avec Mme Guigou que les pouvoirs publics soient contraints de retirer un texte déjà voté ? Cette fois, la menace, c’est « la publication à la Causaque des décrets d’application en février – mars ».

A quoi servent les juges consulaires ?
Les juges consulaires exercent la mission de service public de rendre en premier degré d’instance de juridiction la justice commerciale, et ce bénévolement.
Ils tirent leur légitimité de leur élection par les délégués consulaires des chambres de commerce et d’industrie étant eux-mêmes les élus des secteurs du commerce, de l’artisanat et de l’industrie.
Ils sont les héritiers de la « justice des marchands » créé par l’édit royal initié par Michel de L’Hospital en 1563, faite pour les marchands et rendues par les marchands.
Ils règlent les contentieux généraux entre entreprises, traitent des difficultés des entreprises ainsi que de la détection – prévention des entreprises en difficulté.

L’activité 2014 su tribunal de commerce de Lille Métropole

. compte 65 juges répartis en 11 chambres dont cinq pour les procédures collectives et six pour les contentieux entre entreprises, et 1 cellule de détection-prévention de 8 juges.
. depuis le 1er janvier 2014,
. a reçu en totale confidentialité en entretiens détection-prévention 300 chefs d’entreprise représentant 1711 salariés.
. a prononcé 22 mandats ad hoc et ordonné 21 conciliations pour un total de 6 569 salariés
. a prononcé 346 redressements judiciaires, 14 sauvegardes et ordonné 715 procédures de liquidation judiciaire, le tout concernant 2 526 salariés.
Autrement dit, trois fois plus d’emplois « sauvés » que d’emplois supprimés, démonstration de l’utilité de la détection – prévention,  à ceci près aussi que par rapport à l’an dernier, ce sont cette année des entreprises de plus petite taille, des secteurs du bâtiment, de la construction, du commerce de centre ville qui sont concernées par les procédures collectives.