Les experts-comptables, acteurs de la lutte contre le blanchiment d’argent
Le Conseil régional de l’ordre des experts-comptables Nord-Pas-de-Calais engage en cette fin de mois de février une série de 14 séances de formation dans 12 villes de la région sur la thématique du blanchiment. L’occasion de rappeler à ses 800 membres 850 adhérents leurs obligations et d’y sensibiliser chefs d’entreprise et élus. Entretien avec Hubert Tondeur, président du CROEC.
La Gazette. Pourquoi les experts-comptables s’intéressent-ils au blanchiment d’argent ?
Hubert Tondeur. Du fait de la multiplication des supports et des flux financiers, du développement de l’économie numérique, de la dématérialisation des opérations financières et économiques, l’économie financière s’est largement démonétisée et fluidifiée.
En parallèle, les activités illicites liées au trafic de stupéfiants, proxénétisme, contrefaçons continuent de prospérer. A cela s’ajoutent l’instabilité et les tensions géopolitiques qui sont à l’origine de trafics de toutes sortes. Ces situations sont propices au développement des activités criminelles et délictuelles, ainsi qu’au blanchiment des sommes qu’elles procurent.
Car on ne blanchit que ce que l’on a. Avant de blanchir, il faut déjà se procurer de l’argent de façon illicite : trafic de drogue, d’armes, d’argent, d’êtres humains, d’organes, prostitution, fraude fiscale internationale (à ne pas confondre avec optimisation fiscale).
Dans ce cadre, les professionnels de l’expertise comptable, depuis la transposition de la 3e directive européenne et sa mise en œuvre dans nos textes professionnels, ont une obligation de vigilance et une obligation de déclaration de soupçon à l’égard des opérations susmentionnées.
Quelle définition donner du blanchiment ?
Dans cette logique globale d’économie perturbée, les textes ont conduit à cette définition : “le fait de faciliter par tous moyens la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect“.
Le délit de blanchiment est constitué dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement ou de conversion ne peuvent avoir d’autres justifications que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.
Quelle attitude s’impose aux experts-comptables en cas de soupçon de blanchiment ?
Les experts-comptables ont une obligation de vigilance et, au-delà, en cas de soupçon, une obligation de déclaration auprès de Tracfin1 qui est un service de renseignement rattaché au ministère de l’Economie et des Finances et en charge de la lutte contre le blanchiment d’argent. Cette déclaration de soupçon est de la responsabilité personnelle de l’expert-comptable et reste totalement anonyme au sens où la personne sur laquelle porte le soupçon ne sera jamais informée de la provenance de l’information (cela constitue une garantie contre les mesures de rétorsion). Ne pas déclarer à Tracfin engage en termes de responsabilité.
Comment en arrive-t-on au soupçon ?
C’est un faisceau d’indicateurs qui conduit à ce que le professionnel peut être amené à soupçonner une opération de blanchiment. Nous pouvons citer opacité des interlocuteurs ou du montage financier, activité à risques, transactions en liquide élevées, flux financiers avec des pays à risques, décorrélation entre les volumes financiers ou la rapidité de la croissance avec les standards du secteur… En pratique, il y a souvent un faisceau de facteurs qui conduisent au soupçon. Mais il faut être formé et mettre en place les outils qui permettent d’exercer et de formaliser son opinion qui aboutira ou non à une déclaration de soupçon.
Les experts-comptables sont-ils seuls concernés par cette procédure ?
Au-delà des établissements bancaires qui sont concernés au premier chef par la lutte contre le blanchiment, Tracfin met une pression positive sur les professions libérales concernées par ces opérations – avocats, notaires, experts-comptables, commissaires aux comptes -, chacune ayant plus ou moins capacité à détecter des anomalies selon, par exemple, qu’elles ont ou non capacité à enregistrer des transactions, à s’assurer de la réalité d’une prestation, de l’origine de flux… Les experts-comptables n’ont pas les mêmes sources d’information que les notaires, les avocats ou les banques, ce qui peut expliquer que le nombre de déclarations varie significativement d’une profession à une autre.
Ne pas faire part d’un soupçon qui se trouve confirmé par la suite peut entraîner des mises en responsabilité ou des sanctions civiles, pénales ou professionnelles. Etre une profession réglementée génère des droits, une prérogative d’exercice pour les experts-comptables, mais aussi des devoirs quant à la bonne application des textes, notamment sur un sujet aussi sensible que le blanchiment.
Pourquoi cette mobilisation du Conseil régional de l’ordre ?
Les experts-comptables ont des obligations de formation à suivre par eux-mêmes et par leurs collaborateurs, de vigilance dans l’analyse des dossiers qui leur sont soumis et de procédures. Toutes ces obligations font l’objet de vérifications dans le cadre des contrôles qualité professionnelle qui sont diligentés par le Conseil régional de l’ordre dans les cabinets d’expertise comptable.
Il appartient au Conseil d’aider ses membres et leurs collaborateurs à la bonne mise en œuvre de ces obligations professionnelles. D’où les 14 formations qu’il organise à partir de cette fin de mois dans 12 villes de la région, au plus près de chacun. Ces formations auront pour point d’orgue une conférence ouverte aussi aux chefs d’entreprise et aux politiques.
1. Tracfin : Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers.