Rencontre avec Frédéric Batteux, directeur de l'Institut Pasteur de Lille
Le virus de la médecine humaniste
Après l'Hôtel Dieu et l'AP-HP à Paris, Frédéric Batteux est arrivé à l'Institut Pasteur de Lille doté d'un enthousiasme sans faille. Malgré une mission difficile – redresser les comptes d'une structure fragilisée –, le médecin spécialiste des maladies fribro-inflammatoires veut continuer de placer Lille sur la scène scientifique et médicale internationale.

Le départ précipité de Xavier
Nassif, qui avait pris ses fonctions en 2020 pour être suspendu en
juillet 2023 avait laissé des traces à l'Institut Pasteur, déjà
fragilisé par une trésorerie à la peine. C'est donc dans un
contexte un peu chahuté que Frédéric Batteux est arrivé en
septembre 2024 avec la véritable envie d'un renouveau de cet
établissement unique en son genre. Celui qui a été l'élève de
Patrick Berche – à la direction de l'Institut Pasteur de Lille de
2014 à 2018 – connaissait déjà la structure : «Patrick
Berche était mon doyen et je me souviens très distinctement le jour
où, en conseil de gestion de la Faculté de Médecine Paris
Descartes, il a annoncé : 'Je vous quitte pour aller diriger
l'Institut Pasteur de Lille'. Je me rappelle très bien des étoiles
qu'il avait dans les yeux en disant cela. Aujourd'hui, alors que je
suis à sa place, je comprends encore plus cette fierté et la joie
qu'il exprimait à rejoindre cet Institut Pasteur et j'éprouve le
même sentiment que lui.»
La
carrière de Frédéric Batteux débute à l'hôpital Cochin à Paris
en tant que chef de service du laboratoire d'immunologie. Il dirigera
aussi une équipe de recherche de l'Inserm, spécialisée sur les
maladies fibro inflammatoires. «En
2015, je suis nommé directeur médical de l'Hôtel
Dieu de Paris, c'est le plus vieil hôpital de l'assistance publique
! Sous la houlette de Martin Hirsch, qui en était le directeur
général, nous en avons fait un hôpital dédié à la prévention,
au dépistage et à la fragilité. Ce projet m'a énormément marqué
parce qu'il mobilisait tout un collectif qui avait vécu des périodes
difficiles puisqu'il avait été question à une époque de fermer
cet hôpital.»
Le
collectif, l'âme de l'hôpital
A peine cette mission terminée, le Covid frappe le monde et Frédéric Batteux est alors directeur de la stratégie de l'AP-HP (37 hôpitaux, 100 000 collaborateurs). Une tâche titanesque dans une des périodes qui restera probablement parmi les plus difficiles à vivre pour les soignants. S'il salue l'effort collectif «incroyable», il n'en oublie pas les nuits sans sommeil, à ouvrir des lits pour accueillir les patients alors qu'il n'y avait plus de place et que les malades arrivaient par dizaine.
«La maladie des Hauts-de-France, c'est la modestie»
Mais
surtout, cela a mis en lumière le manque de moyens à l'hôpital et
la nécessité de faire face aux problématiques actuelles : une
population vieillissante et atteinte de maladies chroniques.
«L'hôpital public
prend en charge toutes les maladies, il est ouvert 24h/24 et
accueille tout le monde. C'est l'honneur de l'hôpital public mais en
même temps, ce sont des missions de plus en plus complexes avec des
malades en de plus en plus âgés souffrants souvent de plusieurs
maladies chroniques...»
Derrière, selon le professionnel de santé, tout un parcours de soin
qui doit être réinventé pour éviter de basculer dans la maladie.
Et c'est là que sa nomination à l'Institut Pasteur de Lille prend
tout son sens : accueillant à la fois des start-ups, des
laboratoires de recherche – 7 unités et 33 équipes de recherche,
soit 650 chercheurs, techniciens et ingénieurs –, un centre de
vaccination (15 000 vaccinations par an), l'établissement lillois
est aussi connu et reconnu pour son centre de prévention qui a
accueilli, en 20 ans, près de 291 000 patients.
«Il
y a toujours eu cette dualité : être à la fois un centre de
recherche et un centre de santé dédié à la prévention. Et ces
centres de santé ne sont pas localisés qu'à Lille. Il y a un
maillage du territoire pour réaliser des bilans de prévention
auprès d'une population des Hauts-de-France qui a ses particularités
: nous voyons 70% de patients fragiles et précaires ;
30% de ces patients doivent être réorientés dans un parcours de
soin, probablement parce qu'il y a un manque de suivi et des
habitudes à risque sur lesquelles nous devons porter notre
attention.» Dans cette
mission, Frédéric Batteux y trouve une vraie résonnance avec son
expérience à l'Hôtel Dieu.
«Les
habitants sont très attachés à l'Institut Pasteur de Lille»
Avec une vision profondément
humaniste, Frédéric Batteux n'en reste pas moins le gestionnaire
d'une fondation de recherche, qui souffre, d'un cruel manque de
moyens : «Oui
l'Institut Pasteur est fragile. Les coûts de
l'énergie, l'inflation... les charges ont explosé. La dotation
annuelle de l'Etat de 6 M€ n'a pas bougé depuis 15 ans. Ici en
région, nous sommes très soutenus par les élus et on les remercie,
il y a une vraie mobilisation et un attachement des habitants à leur
Institut Pasteur. Mais par contre, nos recettes augmentent moins vite
que nos coûts et il faut que ça change.»
Chaque
année, l'Institut Pasteur récolte environ 10 M€ de dons bruts
(soit 7 M€ de dons nets) ainsi que 5 à 6 M€ en contrats de
recherche via des appels d'offres régionaux ou nationaux et une
faible part de mécénat (400 000€ en 2023). Mais ce n'est
évidemment pas suffisant par rapport aux missions que veut se donner
l'Institut : «Le
projet stratégique est moderne et solide avec deux axes forts : les
maladies infectieuses et émergentes et les maladies liées au
vieillissement. Sur la tuberculose par exemple, je rappelle que nous
avons ici des équipes leader. Et on a découvert un vaccin
révolutionnaire contre la coqueluche qui protège tout en empêchant
la transmission. Il va entrer en phase 3, pour une diffusion
mondiale. Peu de personnes le savent mais on
dispose aussi de la plus grande chimiothèque académique d'Europe
d'où sortiront sans doute les médicaments de demain. La maladie des
Hauts-de-France, c'est la modestie. Si on faisait cela à Paris, cela
se claironnerait !»
Lille, une
réputation mondiale
Reste à attirer les talents et les chercheurs, d'où 4 000 m2 de laboratoires flambants neufs – sur un campus de 22 000 m2 – pour inciter les scientifiques régionaux mais pas que. «Il est important d'avoir des centres de recherche fondamentale en région, pour pousser les jeunes à se lancer dans des carrières scientifiques. Et ça n'est pas possible uniquement à Paris ! La force de Lille, c'est de faire une recherche fondamentale avec des applications potentielles médicales. C'est pour cela qu'on a de nombreux liens avec le CHU, les Universités... On souhaite avoir un vrai continuum entre la recherche fondamentale, la recherche translationnelle et la recherche clinique» ambitionne Frédéric Batteux. A 58 ans, il compte s'investir pleinement à l'Institut Pasteur de Lille «jusqu'à la retraite sauf si on prend d'assaut mon bureau (rires). Je suis ultra fier d'être là. Je ne nie pas nos difficultés mais cet Institut est tellement puissant qu'on va y arriver. Si je suis venu ici, c'est pour le petit supplément d'âme. Il y a un attachement singulier de la population des Hauts-de-France à leur Institut Pasteur ici à Lille qui nous honore et nous oblige.»