Transports
Le secteur des transports entre espoir et inquiétudes
Réunis à Toulouse fin septembre, les professionnels du transport public pleurent leurs pertes et dénoncent les incohérences de l’État, mais cherchent à conquérir de nouveaux publics.
Des
stands multicolores, des retrouvailles enjouées, des conférences en
présentiel, des buffets en libre-service. Bref, si ce n’étaient
le pass sanitaire, un masque plus ou moins bien porté et le check du
poing en guise de poignée de main, on se croirait en 2019. Aux
Rencontres nationales des transports publics (RNTP), pas moins de 6
000 personnes, représentant des opérateurs de transport, des
collectivités locales ou des start-up ambitieuses se sont
retrouvées, du 28 au 30 septembre. Les 170 exposants ont pris place
dans le parc d’exposition tout neuf, proche de l’aéroport de
Toulouse, le Meett. Comme
autrefois, les constructeurs de bus ont disposé leurs derniers
modèles à la carrosserie rutilante. Comme autrefois, les
opérateurs, Transdev, Keolis, la RATP, la SNCF, vantent leur
capacité à faciliter la vie des voyageurs. Comme autrefois, les
élus proclament venu le temps de la « mobilité durable ».
Une
chose, toutefois, a changé par rapport à l’édition précédente
des RNTP, en octobre 2019, et cela bouleverse
tout. Après avoir nettement progressé dans les années
2010, la fréquentation des transports publics a reculé ces deux
dernières années. « Nous avons pris la grêle »,
résume Renaud Lagrave,
vice-président (PS) aux transports de la région Nouvelle-Aquitaine.
Tous les réseaux, les TER comme les transports urbains, pleurent
leurs pertes. Lyon, comme le souligne Bruno
Bernard, président (EELV) de la métropole et du syndicat de
transports, « a perdu, en 2020, 131 millions d’euros de
recettes et 34 millions de versement transport », un impôt
assis sur la masse salariale et versé par les employeurs.
Pour
le Groupement des autorités responsables des transports (Gart), qui
réunit les élus concernés, c’est à l’Etat de compenser les
pertes, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas. Mais le bras de fer entre
les collectivités et le gouvernement, entamé dès la fin du premier
confinement, dure depuis plusieurs mois. Seule la région
Ile-de-France a obtenu, dès l’automne 2020, une compensation des
pertes enregistrées jusque-là, essentiellement sous forme d’avances
remboursables. Les autres réseaux attendent encore, et le sujet,
pour 2021, reste entier. Le 27 septembre, Valérie Pécresse,
présidente (Libres) de la région Ile-de-France réclamait 1,3
milliard d’euros à l’Etat. Interpellé, le ministre des
Transports, Jean-Baptiste Djebbari,
ne se prononce pas.
Taxer
les livraisons de colis
« Le paradoxe n’a jamais été aussi fort. Les transports publics répondent à l’exigence environnementale, à l’inclusion sociale et au développement économique, et pourtant le secteur est fragilisé par la crise », résume Marie-Ange Debon, présidente de l’opérateur Keolis et de l’Union des transports publics (UTP), qui réunit les entreprises du secteur.
S’il
hésite à compenser les pertes, le gouvernement tient à encourager
l’investissement. Jean Castex a doté, à la mi-septembre, le
quatrième appel à projets auprès de 200 collectivités locales,
lancé fin 2020, de 900 millions d’euros au lieu de 450 millions
prévus initialement. Si le Gart se félicite de cet apport, pour
Bruno Bernard, cela ne
suffit pas. « Nous arrivons à peine à ce qui était prévu
en 2009 », alerte-t-il. A Lyon, 450 millions d’euros, le
montant de la rallonge annoncée par le Premier ministre en
septembre, « cela correspond à 2 à 3 kilomètres de métro,
ou 15 kilomètres de tram », précise-t-il.
Pour reconquérir des voyageurs, chacun a sa recette. Les élus de Montpellier espèrent que la gratuité des transports pour les habitants de la métropole, effective en 2023, suffira à les convaincre d’abandonner leur voiture. Vice-président du Gart et de la métropole d’Orléans,
Charles-Éric
Lemaignen (LR) vise « de nouveaux publics, qui se
déplacent non pas pour le travail, mais les loisirs ».
Ancien député (PS) et grand connaisseur des transports, Philippe
Duron,
qui a remis un rapport au gouvernement en juillet, préconise de
« taxer les plateformes de livraison de colis, au profit des
transports publics ». Ces pratiques, détaille-t-il, se
traduisent, dans les villes, « par des externalités
négatives », en particulier l’occupation de l’espace
public, la pollution et le bruit.
Les
élus montrent par ailleurs leur incrédulité face à d’autres
décisions gouvernementales. Ainsi, la conversion des bus urbains à
la motorisation électrique est mise à mal par des réglementations
que le Gart juge tatillonnes. « Pour prévenir le risque
d’incendie, le ministère de l’intérieur impose des dépôts
plus vastes, et ce n’est pas partout possible », déplore
Louis Nègre, maire (LR)
de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et président du Gart.
Les
couacs de la ZFE
Les
zones à faibles émissions (ZFE), qui doivent interdire la
circulation des véhicules polluants dans les onze plus grandes
agglomérations, risquent d’être inefficaces. Car le contrôle
physique ne sera possible que selon certaines conditions drastiques.
La métropole de Lyon a déjà annoncé qu’elle attaquerait l’État
si elle était dans l’incapacité d’appliquer le dispositif.
Plusieurs élus craignent en outre que ce périmètre métropolitain
isole les grandes villes de leurs alentours. Président (LR) de la
métropole de Toulouse, Jean-Luc
Moudenc confie qu’il a « écrit aux
intercommunalités voisines pour leur rappeler l’existence d’aides
aux ménages pour compenser le dispositif, mais sans recevoir de
réponse ».
Pendant ce temps, à l’autre bout du vaste hall d’exposition, les participants au congrès du Club des villes et territoires cyclables, qui réunit 200 collectivités, évoquent avec enthousiasme la légitimation du vélo comme moyen de transport. À Arras, « les aménagements cyclables consécutifs au premier confinement ont été un succès. Nous avons explosé en quelques mois le budget peinture », raconte Françoise Rossignol, maire de Dainville (Pas-de-Calais, communauté urbaine d’Arras) et nouvelle présidente de cette association d’élus. À ses côtés, Guillaume Gouffier-Cha, député (LREM) du Val-de-Marne savoure la toute nouvelle mission que vient de lui confier le Premier ministre et visant à « relocaliser l’industrie du vélo en France ».