Le notaire, acteur essentiel de l'anticipation et de la résolution du divorce
Un mariage sur deux finit par un divorce. Les chefs d'entreprise n'échappent ni à cette statistique, ni aux problèmes de toutes sortes que cela génère, à cela près qu'ils rencontrent une problématique supplémentaire qui est celle des conséquences patrimoniales très lourdes qui peuvent impacter la propriété et la gestion de leur entreprise. Comment prévenir et gérer au mieux cette situation ? Rencontre avec Me Philippe Delattre, membre fondateur de l'atelier "divorce" du Conseil régional des notaires du Nord – Pas-de-Calais.
La Gazette. Pourquoi le notaire, acteur du divorce ?
Me Philippe Delattre. Les notaires sont au cœur du droit de la famille et du droit patrimonial, les spécialistes des régimes matrimoniaux et de leur liquidation. Le législateur a rendu obligatoire leur intervention pour procéder à un partage immobilier. Ce partage peut avoir lieu soit à l’amiable, soit judiciairement, en cours d’instance ou après le prononcé du divorce. Le Conseil régional des notaires a initié, il y a une dizaine d’années, un atelier “divorce”, avec l’objectif de spécialiser des notaires intéressés par la matière et de diffuser à leurs confrères information et formation.
Quel intérêt à l’intervention d’un notaire pendant la procédure de divorce ?
L’instance en divorce commence par une requête qui donne lieu à une ordonnance de non-conciliation (ONC) fixant les mesures provisoires dans l’attente du jugement. À ce stade, le juge peut désigner un notaire comme expert pour élaborer un projet liquidatif du régime matrimonial et la formation des lots à partager.
S’il ne le fait pas, les problèmes ne seront que reportés puisque, de toute façon, il faudra liquider le régime matrimonial et procéder au partage.
Mener les deux procédures divorce et liquidation-partage en parallèle génère donc une meilleure appréhension du dossier et un gain de temps considérable, d’autant plus appréciable, dans le cas d’un chef d’entreprise, pour lever les incertitudes du devenir de son patrimoine et de son entreprise.
Cette désignation permet au juge et aux parties d’être éclairés sur la prestation compensatoire et de bénéficier d’un état liquidatif sur la réalité de leur situation et sur les conséquences fiscales du divorce. Enfin et surtout de donner toutes les chances aux époux ainsi éclairés d’envisager une solution transactionnelle et d’échapper aux délais et aux aléas d’un contentieux judiciaire.
Et pour le chef d’entreprise ?
Le chef d’entreprise et son conseil ne doivent pas perdre de vue qu’il est préférable de gérer la liquidation du régime matrimonial et d’anticiper le partage qui s’en suivra de manière concomitante à la procédure de divorce. A défaut, ils prennent le risque qu’à une procédure de divorce s’en ajoute une autre pour parvenir à un partage, source de nombreuses incertitudes sur le devenir du patrimoine personnel et professionnel et de la rémunération, outre que cela interdira à l’entrepreneur tout nouveau projet.
Le législateur est bien conscient de l’intérêt de la désignation d’un notaire dès l’ONC, puisqu’il oblige désormais les juridictions à informer expressément les parties d’une telle possibilité (nouvel article 1108 du décret du 23 février 2016).
Demander l’état liquidatif s’impose donc ?
Que ce soit au stade de la requête dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel, à la suite de l’ordonnance de non-conciliation dans le cadre de l’article 255-10 du Code civil, ou encore dans le cadre de la demande introductive d’instance ou enfin à l’issue du prononcé de ce divorce (si les époux, mal conseillés, ont omis de le faire), il est toujours nécessaire de procéder à la liquidation du régime matrimonial, quel que soit d’ailleurs ce régime, séparatiste ou communautaire.
Le notaire se livrera à l’évaluation des patrimoines de chacun des époux, à l’analyse des mouvements de valeurs entre ces deux patrimoines et à l’établissement d’un compte d’administration. Cette évaluation du patrimoine et de l’entreprise va également permettre de déterminer, le cas échéant, le montant de la prestation compensatoire éventuelle.
Que conseillez-vous ?
Pour éviter au conjoint chef d’entreprise la double peine, tant au titre du partage que de la prestation compensatoire, il est absolument nécessaire pour emporter la conviction du juge de lui présenter la situation de la manière la plus exhaustive et la plus claire possible. Il paraît donc utile dans certaines situations complexes et aux enjeux importants de produire au juge, même s’il ne l’a pas requis expressément, un projet liquidatif et une proposition de prestation compensatoire étayée. Ce rapport volontaire sera un travail utile et préparatoire à l’état liquidatif lui-même.
Comment éviter les risques du divorce sur la pérennité de l’entreprise ?
«Gérer c’est prévoir» et il est nécessaire pour les entrepreneurs d’anticiper cette séparation au risque de perdre leur entreprise en même temps que leur conjoint. Des précautions en amont sont à prendre dans le cadre de la structure juridique d’exercice de leur activité sous forme sociétaire, ainsi que sur le choix d’une forme de régime matrimonial adapté à leur situation.
La propriété de l’entreprise, directe et commune aux époux, expose ces derniers au risque maximum en cas de divorce, risque de gestion concurrente en cas de conflit, voire de perte du contrôle lors du partage du régime matrimonial. La détention des biens professionnels à travers une organisation sociétaire offre une meilleure protection : l’époux chef d’entreprise est titulaire de titres sociaux et l’entreprise fera partie de l’actif social. Si un partage devient nécessaire, il portera sur les titres et non sur l’actif et le passif de l’entreprise, et l’époux non dirigeant ne pourra interférer dans la gestion de l’entreprise. Une précaution élémentaire consistera à obtenir de son conjoint, dès la rédaction des statuts, sa renonciation à revendiquer la qualité d’associé.
En outre, différentes techniques du droit des sociétés permettent d’empêcher l’intrusion du conjoint au capital, soit par des clauses d’agrément, soit par la détention d’une société holding personnelle créée à l’effet de détenir les droits sociaux pour éviter un blocage des organes sociaux en cas de crise du couple. Par ailleurs, il y a lieu de sécuriser le droit d’usage des actifs nécessaires à l’exploitation, notamment quand certains biens appartiennent au conjoint, ce qui est fréquent dans le cadre d’entreprises familiales.
Quel régime matrimonial serait le choix judicieux ?
Les époux doivent choisir un régime matrimonial adapté à leur situation. A défaut, lors du divorce, le chef d’entreprise peut être amené à devoir racheter les droits de son conjoint au prix d’un endettement supplémentaire, voire, si cela est impossible, à céder l’entreprise à un tiers.
Dans le régime de la communauté légale, applicable faute d’avoir fait le choix d’un régime conventionnel plus adapté, de nombreuses difficultés vont apparaître dans le cadre du conflit entre les époux à plusieurs niveaux : la propriété des biens, l’affectation des revenus, la gestion, le règlement des dettes, la liquidation et le partage.
Dans ce régime, tous les biens et droits dont un époux ne peut pas prouver qu’ils lui sont propres sont réputés communs, notamment ceux acquis pendant le mariage, même si la jurisprudence opère une distinction entre la propriété du bien et la finance, s’agissant notamment du fonds libéral et des parts sociales non négociables.
Dans le cas des couples dont l’un des époux est chef d’entreprise, ils choisiront fréquemment le régime de la séparation de biens qui permet à l’entrepreneur une maîtrise entière de son outil professionnel pendant la durée du mariage et lors de sa dissolution, avec le risque d’une fixation de la prestation compensatoire plus importante.
Que préconisez-vous ?
Il est essentiel, lors de l’établissement ou de la modification du contrat de mariage, de convenir précisément ce qui constituera une charge ou non du mariage, si l’on veut ainsi favoriser le conjoint tout en le protégeant des risques de l’entreprise. En effet, le régime de la séparation de biens protège très efficacement les biens et revenus du conjoint du dirigeant des poursuites des créanciers de ce dernier. Afin de protéger le conjoint, les époux pourront prévoir l’adjonction d’une société d’acquêts qui fonctionne comme une mini-communauté dans le cadre général d’une séparation de biens. Ce régime permet de combiner les régimes séparatistes et communautaires avec une définition conventionnelle entre les époux de ce qui sera personnel et de ce qui sera commun. L’option d’un tel régime nécessite une grande attention dans la rédaction des différentes clauses.
Il est possible de prévoir un régime de participation aux acquêts qui fonctionne pendant le mariage comme une séparation de biens, mais qui équivaut en valeur, sous la forme d’une créance de participation, à une communauté lors de la liquidation du régime.
Peut-on changer de régime matrimonial ?
Les régimes communautaires et de participation aux acquêts restent à ce jour peu adaptés au chef d’entreprise, lequel devra impérativement se poser la question avec son notaire du choix d’un régime matrimonial, soit au moment du mariage, soit en cours, puisqu’il est possible de modifier le régime matrimonial après deux ans d’application d’un régime. De manière générale, le chef d’entreprise se doit de choisir un régime matrimonial conventionnel sur mesure et non pas se satisfaire du régime légal «prêt-à-porter», peu adapté.
En conclusion, l’entrepreneur dispose de deux moyens pour prévenir des conséquences désastreuses du divorce sur l’entreprise, en jouant à la fois sur l’adoption d’un régime matrimonial adapté et sur l’organisation juridique sociétale. Ces choix doivent être judicieusement combinés et les clauses, parfaitement écrites pour éviter les écueils, tant en matière de dissolution du régime matrimonial au moment d’une séparation qu’en matière de gestion et de rémunération du capital et du travail pendant la période de la procédure.
ENCADRE
Nouveau : le divorce par consentement mutuel déjudiciarisé
Le divorce par consentement mutuel est désormais déjudiciarisé avec l’adoption, en lecture définitive par les députés le 12 octobre 2016, du projet de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Si les époux continuent de faire constater leur accord dans une convention, chacun devra impérativement être représenté par son propre avocat et l’acte sous signature privée devra être contresigné par leurs avocats avant d’être déposé au rang des minutes d’un notaire.
Le notaire continue d’instrumenter la liquidation du régime matrimonial et le partage des biens en présence d’immeuble.