Le brevet unique européen pourrait simplifier l’export
La création d’un brevet unique européen, dont la délivrance est confiée à l’Office européen des brevets, devrait simplifier l’export pour les PME sur ce territoire. Mais l’ensemble du dispositif n’est pas encore totalement opérationnel.
Le premier brevet européen devrait être déposé en 2014, d’après la Commission européenne. Temps de gestation du bébé : trente ans. Le 10 décembre 2012, le « brevet unique européen » a enfin été créé, avalisé par un vote du parlement européen. Il sera automatiquement valable dans 25 Etats-membres en une seule formalité et son coût devrait s’élever à 5 000 euros environ pour les PME. Lors d’une réunion sur « le brevet européen, nouveau levier de compétitivité pour les entreprises », le 21 décembre, à Bercy, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, a souligné l’enjeu qu’il représente en matière d’export. Une « réponse », estime-t-elle à la question de la problématique de défense de la propriété intellectuelle, complémentaire du Pacte national de compétitivité pour la croissance et l’emploi.
« Les entreprises qui innovent sont celles qui exportent le plus », rappelle Nicole Bricq, pour qui ce nouvel outil devrait encourager les PME à exporter en leur simplifiant les démarches et en abaissant les coûts. « Aujourd’hui, la problématique est de structurer, de renforcer les PME, pour qu’elles deviennent des ETI (entreprises de taille intermédiaire) sur le modèle allemand, avec un milliard d’euros de chiffre d’affaires, 3 000 employés, une activité à l’export », rappelle Christian Brevard, président de l’IEEPI, Institut européen, entreprise et propriété intellectuelle. Créé en 2004, cet organisme de formation à la stratégie en propriété intellectuelle, compte parmi ses clients des grands groupes, comme Total ou Air liquide, mais aussi des PME.
Organisation européenne inaboutie
Pour l’instant, dès son démarrage, une PME française est défavorisée par rapport à une PME américaine. Celle-ci s’adresse immédiatement à un marché de dizaines de millions de prospects avec les mêmes brevets. Son homologue française, elle, pour croître, doit « se tourner vers l’Europe. Elle devra nécessairement envisager des actions d’export », observe Christian Brevard.
La gestion de la propriété intellectuelle dans les pays visés en fait partie, et le brevet unitaire devrait éliminer ce souci. Procurer « un brevet de qualité, c’est-à-dire juridiquement solide, qui a très peu de chances d’être contesté » est l’un des objectifs affichés de l’Office européen des brevets (OEB), assure Benoît Battistelli, président de l’organisme. Ce dernier, qui existe depuis 1973, est à présent chargé de la délivrance du brevet unique européen. C’est un règlement européen à application immédiate qui encadre cette disposition. Seul souci, la mission confiée à l’OEB de traiter les litiges, à la place des tribunaux nationaux, comme c’est le cas actuellement, doit faire l’objet d’un traité entre les Etats. Ces derniers doivent encore le signer. « La France pourrait donner l’exemple en ratifiant rapidement », encourage Benoît Battistelli.
Un outil notamment pour les PME
Pour les PME, « les frais de dépôt et de maintenance du brevet seront réduits (…) et les frais de traduction seront remboursés », souligne Christian Brevard. En outre, le dépôt des brevets auprès de l’OEB va représenter des avantages spécifiques pour les entreprises hexagonales. « Le français est l’une des trois langues de l’OEB. On peut effectuer toute sa procédure de dépôt de brevet en français », précise Benoît Battistelli.
Autre avantage, lorsque l’OEB sera chargé de la gestion des différends, « cela va éviter des frais d’avocat et de traduction dans chaque pays. C’est tout bénéfice pour les PME », juge Christian Brevard. Reste à les informer de l’existence de ces dispositifs : « Il faut les aider à mieux appréhender les enjeux internationaux. Il faut qu’elles aient l’ensemble des informations sur des sites Internet, mais, malheureusement, la moitié des PME n’ont pas de sites Internet. Les usages ne sont pas toujours très répandus, sauf chez les PME innovantes », s’inquiète Nicole Bricq.
1 000 brevets dans un smarphone
Or, la question des brevets représente un enjeu mondial, d’après le président de l’OEB. Pour l’ins-tant, les pays qui déposent le plus de brevets en Europe sont américains, japonais, allemands (14 %), ou chinois (7%). Les Français ne viennent qu’après. Quant aux secteurs, il s’agit d’abord de la technologie médicale, suivie des machines outils, de l’informatique, de la communication digitale et enfin, de la chimie organique. C’est donc dans ces secteurs que l’on trouve les entreprises qui déposent le plus de brevets, Siemens, Philips, Samsung, BASF et LG group.
« Le flux de demandes de brevets est en augmentation.( …) Comment le gérer ? Le système est un peu victime de son succès », note Benoît Battistelli, invoquant l’exemple des smartphones qui concentrent jusqu’à 1 000 brevets, ce qui donne lieu à de véritables guerillas judiciaires. Autre enjeu, une « complexité accrue ». Le brevet est né avec l’industrie physique, et le numérique met à rude épreuve les critères traditionnels de brevetabilité. « Il y a besoin de plus de travail sur chaque dossier », note Benoît Battistelli.
Vers des règles mondiales homogènes
Par ailleurs, l’hétérogénéité entre les différents systèmes de brevets au niveau international, et, tout particulièrement entre celui américain et les autres, complexifie ultérieurement la donne. D’après Benoît Battistelli, le système américain compte plus sur l’outil judiciaire pour résoudre les conflits : en amont, l’attribution des brevets est plus laxiste.
Autre différence : traditionnellement, outre-Atlantique, c’est le principe du « premier qui invente » qui prévalait dans l’attribution du brevet, alors que l’Europe a adopté le principe du « premier qui dépose ». Toutefois, dans les deux cas, le système américain évolue vers le principe européen. Le « soft power est un élément essentiel (…) Plus on peut faire prévaloir nos outils, plus les entreprises trouveront partout un environnement qui leur sera familier », explique Benoît Battistelli. L’OEB a multiplié les outils en ce sens. Mais c’est aussi dans les négociations internationales qu’il faut peser.
L’an prochain, la Commission européenne va préparer un mandat pour l’accord de commerce international avec les Etats-Unis. « il faut être à l’initiative, pour que la Commission parte sur de bonnes bases, y compris en matière de propriété intellectuelle », argumente Nicole Bricq.