Entretien avec Elodie Gentina, professeur en management/marketing à l'IESEG School of Management
La génération Z, un casse-têtes pour les entreprises ?
Ils sont nés après 1995, sont scotchés à leur téléphone et arrivent aux portes de l'entreprise avec des attentes et des envies auxquelles les managers doivent répondre sans avoir de recette miracle : la génération Z, engagée mais aussi très volatile, bouscule les codes de l'entreprise.
Auteur de Génération Z – Des Z consommateurs aux Z collaborateurs, professeur en management/marketing à l'IESEG School of Management, Elodie Gentina est aussi conférencière en entreprise. Face à elle, des managers un peu dépourvus de moyens pour attirer la fameuse génération Z, à la recherche d'engagements mais aussi moins attachée à son emploi. Entre fidélisation des collaborateurs, diversification des compétences, mort annoncée des structures pyramidales... les méthodes de recrutement et de management sont en plein bouleversement.
La Gazette Nord Pas-de-Calais. Cette
génération, totalement digital native, arrive sur le marché de
l'emploi après deux années de Covid. Quelles sont les attentes de
ces jeunes ?
Elodie Gentina. Dans le cadre de mon prochain ouvrage, j'ai interviewé de nombreux dirigeants et tous me remontent le même constat : le turn over a été multiplié par deux au premier semestre 2022. Il y a donc un vrai problème d'engagement. C'est un nouveau regard qu'il faut porter sur le rapport des jeunes au travail mais aussi avec les autres générations co-existantes dans l'entreprise. Rien ne serait pire qu'une rupture de dialogue. La génération Z est en quête de sens, elle a envie de s'engager dans des entreprises authentiques, à mission et qui ont compris que le bien-être avait toute sa place. Les jeunes refusent d'intégrer les entreprises qui affichent des convictions mais ne les mettent pas en place.
Sont-ils toujours autant attirés
par les grands groupes ?
Etre une entreprise du CAC 40 ne suffit plus aujourd'hui pour attirer la génération Z. Ce qui est important, c'est qu'une entreprise comprenne – et ce, quelque soit sa taille –, que la notoriété ne suffit plus. Les jeunes veulent apprendre, ils sont intéressés par des missions sociales et environnementales, l'entreprise doit prendre le temps de les décrire et montrer qu'il y a des évolutions. Je ne dirais pas qu'ils boudent pas les grands groupes mais ils bannissent le green washing et ont aussi envie de rejoindre des PME-PMI, start-up et associations.
Vous évoquiez en préambule un
important turn-over. Comment l'explique-t-on ?
En plus des entretiens d'onboarding, il y a ceux d'off-boarding, autrement dit, de départs de l'entreprise. On appelle aussi cette génération la génération boomerang : ils peuvent quitter leur poste, partir à l'étranger par exemple et revenir ensuite. La génération Z n'a plus la notion de plan de carrière ; le travail n'est plus au centre de leur vie et le Covid a aussi marqué une rupture.
Avant, quand on quittait une
entreprise, on n'y revenait plus... Ce n'est plus le cas aujourd'hui
et les ressources humaines doivent retravailler les contrats avec, par
exemple, des congés nommés «respirants»
chez Orange, l'Oréal qui propose de créer son entreprise durant son
emploi ou de travailler dans une start-up pendant six mois
tout en étant rémunéré ou encore proposer de l'intrapreneuriat.
En fait, c'est permettre une ouverture et éviter les frustrations au
travail.
N'est-ce pas compliqué à mettre en
place ? Difficile d'imaginer une TPE se passer de l'un de ses
salariés pendant six mois...
En effet, c'est plus compliqué pour les TPE-PME/PMI. Néanmoins, il est possible de faire autrement dans les petites entreprises : demander aux jeunes de travailler sur la visibilité, la digitalisation, la marque employeur... Ce sont des missions qui leur plaisent. Dans une PME, on est encore plus sur le collaboratif. Finalement, peu importe la taille de l'entreprise et le secteur, les dirigeant(e)s n'ont pas le choix, ils doivent s'adapter mais il est certain qu'on peut le faire pour certains postes et non pas pour d'autres : par exemple sur le secteur de l'aide à la personne, il est difficile de mettre en place du télétravail. Mais on peut imaginer une anticipation sur les plannings, des horaires plus mixtes...
C'est une adaptation permanente du
manager finalement ?
Aujourd'hui dans l'entreprise, quatre générations cohabitent : les Z (moins de 25 ans), les Y (28-40 ans), les X (40-55 ans) et les baby boomers. Les attentes sont différentes mais il ne faut pas arrêter des choses qui fonctionnent bien pour les seniors au profit des jeunes mais plutôt, s'adapter à tous. Quand un jeune intègre une entreprise, c'est important de créer un système de tutorat : pendant un an, un «ancien» l'accompagne, l'écoute et cela, dans les deux sens.
Il faut arrêter les stéréotypes. Les
jeunes ont des compétences plus importantes dans la RSE, dans les
langues et évidemment, la digitalisation – qui est importante mais
ne fait pas tout. Un jeune pourra aider sur l'image de marque alors
que les anciens sont plutôt sur les soft skills. Chacun doit savoir
travailler ensemble.
Quels conseils pourriez-vous donner
aux dirigeant(e)s qui vous lisent ?
Considérez cette génération comme des protagonistes et faites les travailler sur des projets. Je pense par exemple à Nestlé, qui a créé un «Shadow comex», un comité exécutif composé de jeunes recrues et qui travaille sur les questions de RSE. Le manager, tout comme l'enseignant, n'est plus un sachant mais un coach. Il doit développer des soft skills comme l'empathie, l'écoute... Attention, l'autonomie n'est pas l'indépendance et la génération Z a énormément besoin de feedback pour être rassurée. La technique est importante mais les jeunes sont beaucoup dans l'affect.
Aujourd'hui, les entreprises doivent
aller vers les jeunes via les réseaux sociaux, des recrutements par
vidéo. Ils ont envie de voir les équipes et l'entreprise... En
fait, ils cherchent des métiers passions avec du sens.