La France face au trop-plein de zones commerciales
Dans toutes des régions, les élus autorisent la construction de nouveaux centres commerciaux de périphérie, au même rythme que les années précédentes. Parfois une décision politique intervient, comme dans le dossier Europacity, pour bloquer un projet auquel personne ne croyait.
En 2019, exactement comme en 2018, 1,3 million de mètres carrés de nouvelles surfaces commerciales ont été autorisées en France, d’après les chiffres révélés le 30 janvier par la fédération Procos, qui rassemble 300 enseignes du commerce spécialisé. Ces zones commerciales, créations ou extensions de surfaces existantes, s’ajouteront, une fois construites, à celles qui existent déjà, entre 1,5 million et 4 millions de m² autorisés chaque année depuis 20 ans.
Ainsi, les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), composées essentiellement d’élus locaux, sont plus que jamais des «machines à dire oui», selon une expression répandue dans le secteur de la grande distribution. Le taux d’acceptation, calculé par Procos en mètres carrés autorisés, atteint 85% en 2019, en hausse par rapport à 2018 (79%) ou 2016 (70%). La commission nationale (CNAC), qui examine les recours, est un peu moins arrangeante : elle autorise 59% des projets.
Les enseignes tentent une lecture optimiste de ces chiffres pourtant très parlants. «Le nombre de dossiers examinés par les CDAC a tendance à baisser d’année en année, tandis que le taux d’acceptation augmente. Les projets des promoteurs sont sans doute plus solides, davantage pensés en concertation avec les élus», veut croire Sami Kitar, chargé d’études chez Procos. On peut aussi interpréter différemment la prodigalité des CDAC. Alors que le nombre de dossiers présentés baisse, la tentation est forte d’en autoriser davantage, afin d’éviter de casser le rythme. Après tout, l’adage «Quand le bâtiment va, tout va», demeure très prisé.
Quoi qu’il en soit, les futures zones commerciales contribueront à l’étalement urbain. «La grande majorité des projets sont situés en périphérie», reconnaît Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Face à tant de concurrence, les villes concernées par ces implantations vont avoir du mal à conserver leur attractivité commerciale. Parmi les plus grosses ouvertures de 2019 et 2020, des dossiers déposés il y a déjà plusieurs années, on remarque la zone commerciale Steel, portée par le promoteur Apsys, à Saint-Etienne (52 500 m² de surfaces de vente), un complexe baptisé «Le grand chêne» à Auch (18 300 m²) dans le Gers, la structure Lillenium à Lille Sud (22 700 m²) ou un «Frunshopping Carpe Diem», création du promoteur belge De Vlier à Perpignan (20 800 m²).
Dans certaines villes, à Lille ou à Saint-Etienne, notamment, l’ouverture annoncée de ces nouveaux centres commerciaux a suscité de nombreuses oppositions, tant de la part des commerçants que d’une partie des élus.
Interventions politiques
Mais les temps changent. L’an dernier, la CNAC, composée d’élus nationaux et de hauts-fonctionnaires, s’est autosaisie de deux projets, l’un en Île-de-France et l’autre à proximité d’Amiens, afin de leur refuser l’autorisation. En outre, il n’est plus rare que le pouvoir politique intervienne directement pour interrompre une procédure. Ainsi, en novembre 2019, le président de la République lui-même a annoncé l’abandon du megacomplexe commercial et de loisirs Europacity, dans la banlieue nord de Paris. Emmanuel Le Roch note, pour l’année 2019, deux autres événements qu’il range dans la même catégorie.
En février, le président de Rennes métropole renonçait à une opération de la Compagnie de Phalsbourg, baptisée «Open Sky» dans la commune de Pacé. Le dossier avait pourtant été lancé par la métropole quelques années auparavant. Fin 2019, la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) s’opposait au réaménagement de la gare du Nord, qu’elle avait soutenu auparavant. Le projet, porté par Ceetrus, pôle immobilier du groupe Auchan, est contesté notamment parce qu’il impose aux voyageurs un parcours complexe dans la gare. Emmanuel Le Roch regrette ces trois interventions politiques qui «fragilisent les positions des décideurs économiques», même s’il admet a posteriori qu’à propos d’Europacity, «nous étions plus qu’interrogatifs».
Le délégué général de Procos indique aussi que les pouvoirs publics «ont raison de dire qu’il faut dynamiser le centre-ville». Les acteurs de la distribution attendent beaucoup des dispositions prises par le gouvernement pour revitaliser les villes moyennes, et en particulier du programme Action cœur de ville, destiné à 222 localités. Pour l’instant, observe la fédération des enseignes, «la plupart des opérations concernent le logement. C’est une bonne chose, car les villes ont besoin d’habitants». Emmanuel Le Roch regrette tout de même de ne pas être «davantage sollicité» par les municipalités pour l’implantation d’enseignes. De fait, beaucoup de maires considèrent désormais que leur ville est bien équipée, voire trop équipée, en commerces.
Le secteur apprend, doucement, à faire son deuil des zones commerciales superfétatoires. À Vendenheim, dans la banlieue de Strasbourg, une zone vieillissante est en cours de requalification, avec l’impulsion de la métropole. Cette opération comprend une réorganisation de la voirie, la destruction de bâtiments, la construction de logements et l’accueil de nouvelles activités. Mais comme l’indique Emmanuel Le Roch, ce type de réhabilitation est «compliqué à mettre en œuvre», et se traduit, en pratique, «par la création de nouvelles surfaces commerciales». À l’avenir, «il va falloir apprendre à détruire», dit-il.