La déspécialisation partielle face aux clauses du bail
Rigidité légale contre souplesse contractuelle ? Voire… Ne serait-ce pas plutôt la loi qui introduit ici de la souplesse dans les relations contractuelles ?
Par arrêt du 15 février 2012, la Cour de cassation réaffirme que la déspécialisation partielle est d’ordre public. Le commerçant preneur à bail de son local peut demander à y exercer des activités connexes ou complémentaires à celles prévues au bail ; aucune convention ne peut y faire obstacle. En l’espèce, dans un centre dédié à l’automobile, la société Midas avait pris à bail, avec exclusivité, un local destiné à l’activité d’échappements et amortisseurs, et s’était engagée à ne pas exercer l’activité de pneumatiques. Un autre locataire occupait un emplacement destiné à l’activité de pneumatiques et était lié par des engagements symétriques. Sur demande de Midas, afin d’exercer l’activité de pneumatiques, le propriétaire du centre automobile a refusé en invoquant les clauses d’exclusivité et de non-concurrence en présence. La cour d’appel de Chambéry a entériné ce refus. Son arrêt est cassé.
C’est l’article L. 145-47 du code de commerce qui prévoit la faculté de déspécialisation partielle. L’article L. 145-15 énonce que “sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec” à cette faculté. Au vu de ces deux articles, les clauses litigieuses ne pouvaient faire obstacle à l’exercice par Midas d’une activité de pneumatiques. La solution n’est pas neuve ; si des plaideurs vont encore en Cassation pour la contester, c’est néanmoins qu’elle n’est pas évidente.
Les conditions de la sanction légale. L’article L. 145-47 soumet la déspécialisation partielle à une seule exigence : le caractère connexe ou complémentaire de l’activité projetée. Il suffit qu’une clause du bail ait pour effet de faire obstacle à l’exercice d’une activité, alors qu’elle est connexe ou complémentaire à celles que le bail prévoit, pour que cette clause encoure la sanction légale et soit écartée.
Plus encore, la condamnation légale ne se limite pas aux seules clauses du bail. L’article L. 145-15 vise “les clauses, stipulations et arrangements”. Ainsi sont visées les conventions extérieures au bail : règlement de copropriété, statuts d’une personne morale, convention doublant le bail. La jurisprudence est constante en ce sens1. Dans le cas présent, il existait une “concession d’emplacement commercial” s’ajoutant au bail du même jour ; la clause de cet acte est condamnée.
Ce n’est pas pour autant que l’existence d’un bail ne serait pas nécessaire. Hors relation locative, la problématique ici examinée n’a plus lieu d’être. Si un commerçant, propriétaire du local où il exploite, est lié par un engagement de non-concurrence, il ne pourra invoquer les règles de la déspécialisation partielle pour tenter de s’en affranchir.
Les effets de la sanction légale. Au vu de l’article L. 145-15, la sanction prévue est la nullité, laquelle opère à l’égard de tous. Il serait donc vain de tenter des distinctions en fonction de la personne qui se prévaut de l’engagement litigieux. Le bailleur ne peut l’invoquer. Un autre exploitant non plus, ni en intervenant aux débats pour appuyer le refus du bailleur, ni en reprochant, après coup, à celui-ci un manquement à son engagement d’exclusivité pour lui réclamer une indemnisation. Tout au plus est-il admis que le tiers qui a payé pour se voir consentir une exclusivité au final inopérante soit fondé à obtenir la restitution de ce qu’il a payé sans cause.
L’article L. 145-15 énonce, conformément au droit commun, que la convention nulle est “de nul effet”. Ce point mérite d’être nuancé : la nullité n’opère ici que dans l’exacte mesure de l’obstacle apporté au mécanisme de la déspécialisation. Ainsi, face à une demande de déspécialisation totale (visant à l’exercice d’une activité radicalement différente), les conventions en question ne sont pas privées d’effet. En vertu de l’article L. 145-49, une telle demande doit être portée à la connaissance des locataires auxquels le bailleur a consenti une exclusivité ; ceux-ci disposent d’un délai d’un mois pour réagir. A fortiori, quand il s’agit de définir, dans la clause “destination” d’un bail, l’activité autorisée, le bailleur est tenu par les engagements qu’il a consentis à d’autres. Sans effet au regard d’une demande de déspécialisation partielle, ces engagements retrouvent ici leur emprise2. La nullité se mesure donc, au final, à l’aune des dispositions légales d’ordre public bafouées. Il s’agit d’une nullité “sur mesure”.
1. Cass. civ. 3, 18 mai 1971, Bull. n° 306 – Cass. ass. plén., 26 janv. 1973, JCP 1973. II. 7462, note B. Boccara.
2. Cass. civ. 3, 25 oct. 1972, Bull. n° 547.