L'urgence des forêts

En raison du réchauffement climatique, les forêts françaises dépérissent à grande vitesse. Des parades existent, mais elles sont complexes à mettre en œuvre a montré une récente table-ronde organisé par une commission sénatoriale.

En France, la moitié des forêts devraient pouvoir passer le cap de l'augmentation des 4 °C, au prix de quelques ajustements. © Adobe Stock
En France, la moitié des forêts devraient pouvoir passer le cap de l'augmentation des 4 °C, au prix de quelques ajustements. © Adobe Stock

Ils sont multiples et vitaux. Une table-ronde consacrée aux "défis de la forêt française à l’heure du changement climatique" était organisée par la commission de l'Aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

Tout d'abord, constate Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'ONF, Office national des forêts, l'état des lieux est catastrophique et il est indispensable d'intervenir. Ainsi, depuis dix ans, la mortalité des arbres a été multipliée par deux. Et les forêts absorbent deux fois moins de dioxyde de carbone, amoindrissant leur contribution à la lutte contre le changement climatique. Tels sont les constats de l'inventaire forestier de l'IGN, Institut national de l'information géographique et forestière (2024). En cause, le changement climatique qui se concrétise par des phénomènes de chaleur excessive, manque d'eau, infestations d'insectes, champignons... «Il s'agit d'évolutions très rapides sur une période courte par rapport au cycle forestier», commente Albert Maillet. À ce titre, laisser la nature s'adapter spontanément à cette nouvelle donne ne constitue pas une solution. Le rythme des changements impose «d'intervenir de manière extrêmement active (…). Les écosystèmes n'auront pas la capacité de s'adapter aussi rapidement au choc de sécheresse à venir», explique-t-il.

Philippe Label, spécialiste de ces problématiques à l'INRAE, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, confirme. Lorsqu'un arbre est confronté à une évolution de son environnement qui lui est défavorable, son cycle végétal va finir par enclencher un processus de « dissémination » des descendants, via un déplacement physique des graines, explique le scientifique. Mais ce processus naturel de régénération ne se déclenche qu'après une longue période de dépérissement de l'arbre. Et les graines se déplacent de trois à 50 kilomètres par an....

«Migration assistée»

Dans cette situation difficile, des parades existent selon l'ONF. En France, la moitié des forêts devraient pouvoir passer le cap de l'augmentation des 4 °C, au prix de quelques ajustements. Pour l'autre moitié, trois réponses doivent être envisagées en fonction de la gravité de la situation. Dans le cas le plus bénin, lorsque le système naturel de régénération reste effectif, il s'agit de «changer le cocktail» et d'augmenter la proportion d'espèces résilientes aux nouvelles conditions climatiques, au détriment de celles qui le sont moins : pour une hêtraie-chênaie, augmenter la proportion de chênes, moins sensibles que les hêtres. Deuxième cas, celui de forêts où toutes les espèces d'arbres sont jugées trop sensibles, une «migration assistée» consisterait à en faire venir de zones plus méridionales. Et enfin, troisième cas, extrême, pour les forêts méditerranéennes qui se retrouveraient confrontées à une situation climatique inédite en France, il s'agirait d'aller chercher des espèces dans d'autres pays du bassin méditerranéenne pour les introduire «avec prudence», explique Albert Maillet.

Reste que ces scénarios n'ont rien d'évident à mettre en œuvre. Tout d'abord, «ces solutions sont basées sur des plantations. Il est nécessaire d'avoir à disposition des graines et des plantes performantes», prévient-il. Autre difficulté de ces migrations assistées, «un arbre introduit artificiellement, sans sa cohorte d'espèces aidantes a très peu de chances de survivre (…). Remplacer une espèce par une autre implique aussi de regarder quelles sont les autres espèces dont il a besoin pour son développement. Ce sont des espèces animales, comme des insectes indispensables à la pollinisation, mais aussi des bactéries, des champignons...», avertit Philippe Label. Le scientifique insiste sur la complexité des écosystèmes qui impliquent de nombreuses espèces végétales et animales, et dont le délicat équilibre peut être facilement brisé. Et il alerte : «Un écosystème est comme un funambule que l'on essaie de faire rester sur son fil. On ne peut pas intervenir brutalement au risque de le faire tomber».

La dimension économique

Délicate à mettre en œuvre, la réponse aux défis de la forêt implique de tenir compte aussi d'autres paramètres. Dont la nécessaire mobilisation des acteurs privés qui détiennent les trois quarts de la forêt en France. Les propriétaires fonciers «ont besoin d'être accompagnés.(..) Il faut leur apporter des solutions plutôt que les décourager», plaide Antoine de Ponton d’Amécourt, président de la Fédération des forestiers privés de France (Fransylva), qui représente 3,5 millions de propriétaires. Depuis 2018, des forêts de résineux, en particulier dans l'Est de la France, ont subi d'immenses dégâts causés par les scolytes, insectes dont la prolifération est favorisée par le changement climatique. «Il est important que l’État aide au renouvellement des forêts, en cas de grande difficulté. Pour les propriétaires, c'est une perte sèche», pointe Antoine de Ponton d’Amécourt.

Au delà du soutien ponctuel lors des accidents, la viabilité économique de la filière bois constitue un enjeu en soi. Du point de vue environnemental, «elle joue un rôle essentiel pour atteindre l'objectif de neutralité carbone», rappelle Jérôme Mousset, directeur Bioéconomie et Énergies renouvelables à l'Ademe, Agence de la transition écologique. En effet, le bois stocke du carbone en forêt, dans les produits, et il se substitue aux ressources fossiles. Mais la viabilité de cette filière suppose des aménagements face aux transformations actuelles, selon l'Ademe. Par exemple, il s'agit de s'assurer que le niveau de prélèvement de bois est soutenable, d'aider les professionnels à s'adapter pour être en mesure de valoriser des bois impactés par le changement climatique (bois de tempêtes, bois incendiés... ).