Initiatives
L'économie sociale et solidaire prend la mer
Transmettre le savoir-faire des marins, recycler les vieux bateaux polluants... Des acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) développent des activités économiques écologiquement et socialement vertueuses, en mer.
Une génération déconcertante. En mer aussi, la construction d'un autre monde s'impose... En novembre dernier, lors d'une visioconférence, le Labo de l'ESS, think tank consacré au sujet de l'économie sociale et solidaire, rendait publique une étude «Pour une économie de la mer durable et solidaire», réalisée avec le ministère de la Mer. Adresser ce thème est «une première» pour le Labo de l'ESS, a précisé Hugues Sibille, son président. Et pourtant, les problématiques liées à l'ESS, - solutions low tech, circuit courts, constitution de pôles territoriaux - sont finalement les mêmes sur terre et en mer… Celle-ci, à la fois ressource précieuse et écosystème menacé, constitue aujourd'hui un enjeu majeur.
Côté ressources, «la mer constitue une source d'activités multiples depuis les temps reculés. Les archéologues nous montrent que les échanges maritimes existent depuis toujours. Et aujourd'hui, le transport de fret se fait d'abord par la mer», souligne Louis Brigand, référent thématique au Labo de l'ESS. La France est particulièrement concernée, seul pays européen à bénéficier (en métropole), d'une façade sur la Manche, l'Atlantique et la Méditerranée. De plus, ses territoires ultramarins lui assurent la deuxième ZEE, Zone économique exclusive, la plus vaste au monde, derrière celle des USA.
Du
point de vue des activités, à celles de la pêche, du transport et
du tourisme, «s'ajoutent
de nouvelles perspectives liées aux préoccupations actuelles en
matière d' énergie»,
ajoute Louis Brigand, évoquant le développement de nouvelles
énergies renouvelables en mer. Mais cette dernière, ainsi que les
zones côtières, sont en danger : surexploitation des
ressources, prolifération des micro-plastiques, élévation du
niveau des eaux,... Ces écosystèmes fragiles sont confrontés aux
enjeux du changement climatique et de la pollution humaine. «Il
est nécessaire de trouver des solutions. Elles existent en partie
dans l'ESS»,
analyse Louis Brigand. Certaines initiatives existent déjà, mais
elles sont «peu
connues des acteurs locaux, politiques et au niveau national»,
constate l’expert.
Lequel rappelle que, par ailleurs, le milieu maritime est déjà
riche d'une solide tradition de solidarité, comme l'illustre la très
célèbre SNSM, Société nationale de sauvetage en mer.
Dix
pionniers pour une mer vue comme un bien commun
L'étude du Labo de L'ESS vise à pallier le manque de visibilité des initiatives de l'ESS. Elle propose la monographie d'une dizaine d'entre elles, aux démarches très diverses. Par exemple, en Loire-Atlantique, Bathô est un chantier naval qui donne une seconde vie aux bateaux de plaisance. Ces derniers sont transformés en gîte sur la terre ferme pour les jardins des particuliers, ou bien, en hébergement insolite destiné aux terrains de campings. Le plus souvent, ces bateaux, réalisés avec des matériaux composites, au recyclage complexe, terminent à l'incinération ou à l'enfouissement ! L'enjeu écologique est loin d'être négligeable, d'autant que le parc de bateaux a aujourd'hui 40 ans en moyenne, et leurs propriétaires 60.
Autre
exemple, les
Paniers
de la
Mer,
créés en 1997 dans le Finistère. Ce sont des ateliers de
mareyage : ils récupèrent une partie des invendus des criées,
lesquels sont ensuite transformés et conditionnés par des salariés
en insertion, puis, distribués à des associations d’aide
alimentaire, partout en France. A la base du projet, un double
constat : les usagers de l'aide alimentaire ne se voient
quasiment jamais offrir de
poisson. Or, plusieurs centaines de tonnes de cette denrée sont
détruites chaque année, dans les principaux ports de pêche
français. En 2020, le réseau des
Paniers
de la Mer a récupéré plus de 350 tonnes de poissons (71 espèces
différentes). Ceux-ci ont été transformés et surgelés par 120
salariés en contrat à durée déterminée d’insertion. Les 171,5
tonnes de poissons conditionnés
ont été distribuées aux structures d’aide alimentaire dans une
soixantaine
départements.
Recyclage
du plastique et transmission des savoir-faire
Autre exemple, à dominante écologique, ReSeaclons (Gard) : l'initiative vise à mettre sur pied une filière en économie circulaire sur la collecte et recyclage de déchets plastiques marins. Car chaque jour, 700 tonnes de plastiques finissent en Méditerranée... L'objectif de l'association, ReSeaclons Développement, née en 2019 consiste donc à collecter ce déchet et à l'utiliser pour en faire une nouvelle matière, exploitable dans la fabrication de nouveaux produits. Pour ce, elle mobilise les acteurs concernés sur le territoire. Lors de la phase pilote du projet, entre avril et décembre 2018, pêcheurs volontaires, associations locales et l’écobarge Cleaner Blue du port du Grau-du-Roi ont contribué à collecter les déchets. La Communauté de Communes Terre de Camargue a mis à disposition un espace dans une déchetterie et de la main d’œuvre. Résultat : 700 kg de plastique collectés, dont 95% revalorisés par Trivéo, partenaire de ReSeaclons. Sur ce même thème de la pollution plastique, un autre projet, T.É.O s'attache à favoriser la coopération, afin de diminuer localement la pollution plastique sur le littoral.
Parmi les autres initiatives détaillées par l'étude figure aussi Jeunes à Bord, qui accompagne la transmission des entreprises de pêche d’une génération à l’autre. Et aussi, Skol ar Mor, axé sur la transmission des savoir-faire traditionnels maritimes. Pour Marie Vernier, déléguée générale du Labo de l'ESS, ces initiatives, diverses, ont plusieurs points communs : «elles voient la mer comme un bien commun dont l'exploitation et la protection relèvent d'une responsabilité collective». Un principe général qui se décline de plusieurs façons : utilisation de l'open source pour les solutions technologiques, démarche d'utilité sociale, prise en compte des enjeux environnementaux et de développement économique, qui vont jusqu'à la structuration de filières.