L’impact du mécénat demeure flou
Quel impact a le mécénat ? Aux assises de l’Admical, association qui réunit les entreprises mécènes, on se pose la question, cruciale pour encourager les PME dans cette voie en temps de crise. Mais les mécènes rechignent à mesurer précisément les effets de ces actions.
Quand on réfléchit à l’impact du mécénat, la plus grande erreur serait de le mesurer », lance Pierre Coppey, président Vinci Autoroutes, et anciennement créateur de la fondation de la société qui se consacre au mécénat. Le ton est donné, pour cette conférence sur “L’impact du mécénat”, qui se déroule dans le cadre des 21e Assises du mécénat, à Paris, le 11 avril. L’événement est organisé par l’Admical, qui réunit les acteurs du mécénat en France. Pour Pierre Coppey, à trop mesurer, « on perdrait la dimension philanthropique du geste, sur la base duquel il s’organise d’autant mieux ». De plus, les apports de ce type de démarche ne seraient pas forcément quantifiables, à en suivre le président de Vinci Autoroutes. « Les actions de mécénat donnent une signification. C’est une façon de renforcer les liens avec les parties prenantes », précise Pierre Coppey. Par exemple, la fondation de Vinci a mené une importante opération de mécénat (à hauteur de 12 millions d’euros) dans la prestigieuse Galerie des glaces de Versailles. « C’est une façon pour Vinci d’affirmer son rôle de constructeur, en associant son nom à une oeuvre qui est le sommet des bâtisseurs (…) à un moment où les métiers immatériels étaient les plus valorisés », estime Pierre Coppey. Autre impact, la « fertili-sation croisée », entre le monde de la culture et de l’entreprise. « Cet impact, qui n’est pas mesurable, est très significatif du fait que le mécénat peut favoriser le décloisonnement de la société », conclut le président de Vinci Autoroutes. Même son de cloche chez Somfy, entreprise spécialisée dans les moteurs, commandes et automatismes dans la maison, et également engagée dans le mécénat. « On ne mesure rien, en la matière », explique Jean-Philippe Demaël, directeur général de l’entreprise. Pour lui, l’enjeu du mécénat est très large : « Si on veut que les entreprises soient acceptables à moyen terme, il faut qu’elles soient capables de montrer qu’elles rendent au territoire une partie des richesses qu’il leur a permis de créer », explique-t-il. Somfy a mis sur pied une fondation depuis dix ans, engagée contre l’exclusion basée sur le logement. 1% des revenus de l’entreprise y sont versés, et les salariés peuvent disposer d’1% de leur temps dans des activités qui vont dans ce sens. Par exemple, une centaine d’employés participent à des actions menées avec Emmaüs. « En interne, cela crée de la fierté. Cela casse les barrières avec les associations. (…) On pense que cela fait du bien à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise », précise Jean- Philippe Demaël.
Impact à trois étages
Du coté des porteurs de projets aussi, on constate un impact du mécénat. Chez Emmaüs Défi, par exemple, on lutte contre la précarité en matière de téléphonie mobile, avec l’aide de l’opérateur privé SFR. « C’était très important pour nous », affirme de Margault Phelip, représentante d’Emmaüs Défi. En effet, lorsqu’ Emmaüs s’en empare, le sujet n’est pas encore identifié par les pouvoirs publics comme un enjeu social, au même titre que le logement, par exemple. Dans ce cadre, le mécénat de SFR a pris trois formes. Financier « il permet de financer des projets qui ne sont pas dans les grandes lignes de la politique d’exclusion », commence Margault Phelip. En nature, « c’est essentiel. On ne s’improvise pas opérateur », ajoute Margault Phelip, dont l’association peut proposer des offres, des packages téléphoniques aux plus démunis. Mais le mécénat est aussi technique, dit, « de compétences ». « Nous n’avions pas les compétences en télécommunication, or il fallait accompagner les personnes en difficulté », termine Margault Phelip. L’association a pu s’appuyer sur le savoir des salariés de SFR. En effet, ces derniers ont la possibilité de dédier une partie de leur temps au mécénat. « Nous avons été des fervents consommateurs de ce statut », se souvient Margault Phelip. Au total, pour elle, « on voit que si on a réussi à monter un projet performant, aujourd’hui reconnu par les pouvoirs publics, c’est parce que SFR s’est engagé à ces trois niveaux ».
Tout mettre en équation ?
Comme médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye s’était effrayé de l’état de délabrement de la société française. « Le mécénat répond à un besoin de partage, de retrouver du bien commun, ce qui est nécessaire dans une société en crise », intervient le président du CESE, lors de la table ronde. Quant à en mesurer les effets, cela ne lui semble pas prioritaire : « Sortez de notre drame français qui est de tout mettre en équation », lance-t-il à l’assistance. C’est loin d’être la position d’Arnaud Mourot, directeur général d’Ashoka, réseau d’entrepreneurs sociaux. « Je comprends la position du chef d’entreprise qui ne veut pas mesurer, sinon on sort de la dimension philanthropique (…), mais il est important de mesurer, car rendre compte, c’est se rendre compte, et donc, se donner des grandes lignes pour voir où l’on va », explique-t-il. Exemple : l’association a fait mener des études sur les économies que permettaient de générer les entrepreneurs sociaux : 5 milliards d’euros. « C’est intéressant de mettre le coup de projecteur sur des méthodes qui peuvent se révéler rentables ( …) y compris pour la collectivité, et qu’il faut donc favoriser pour le bien commun », précise Arnaud Mourot. L’enjeu devient alors de favoriser la dissémination de ce modèle et de faire évoluer le contexte pour encourager des modes de fonctionnement alternatifs. Pour Arnaud Mourot, « quand on regarde l’ampleur des problèmes de société et ce que peut permettre le mécénat, on voit bien que l’on ne peut pas lutter. Il faut changer de logiciel (…). La plupart des mécènes soutiennent des projets sans risques. Or, il faudrait faire émerger des projets nouveaux ». Et donc, mesurer…