Rentrée du Tribunal de Commerce de Lille Métropole

«L'année 2023 qui s'ouvre s'avère très incertaine»

Après une audience solennelle en comité très restreint en 2022 à cause des restrictions sanitaires, c'est avec enthousiasme – mais non sans de nombreuses inquiétudes quant à l'avenir – qu'Eric Feldmann, président du Tribunal de Commerce de Lille Métropole, a présenté l'activité de l'institution en 2022, marquée par l'augmentation du nombre d'ouvertures de procédures collectives et amiables.

L'ouverture de l'audience solennelle par Carole Etienne, procureure de la République de Lille. © Lena Heleta
L'ouverture de l'audience solennelle par Carole Etienne, procureure de la République de Lille. © Lena Heleta

Difficile de comparer l'année 2022 à 2021, tant cette année, qui a suivi deux années de Covid et de «quoi qu'il en coûte» n'est pas représentative de l'activité économique. Si l'on compare de façon rationnelle 2022 à 2019, le nombre de procédures collectives est passé de 1 041 (2019) à 960 (2022), soit une baisse de 7,78%. «76% sont des liquidations judiciaires ou liquidations judiciaires simplifiées, en hausse de 6,74% sur 2019 et seulement 24% sont des redressements judiciaires, en baisse de 46% sur 2019» détaille Eric Feldmann, qui ne cache pas ses inquiétudes tant ces chiffres sont à prendre avec des pincettes : «Les URSSAF qui, en 2019, représentaient 35% des ouvertures de procédures collectives, n'ont pas toujours repris leurs assignations, d'où une inquiétude pour 2023».

Un quart de faillites causées par des retards de paiement

6 343 emplois sont concernés par ces procédures collectives, contre 2 500 en 2019, soit une hausse de 250%. Le dernier gros dossier en date, la liquidation de Camaïeu fin septembre dernier, reste encore dans les esprits, avec ses 2 600 emplois supprimés... Et Eric Feldmann de rappeler que 25% des faillites sont causées par le non-respect des délais de paiement, notamment pour les PME, qui ont d'autant plus de mal à se relever : «Un jour de retard de paiement pour la France représente 1 milliard de trésorerie en moins pour les TPE/PME. S'il n'y avait pas de retards de paiement, les TPE/PME récupéreraient 12 milliards de trésorerie et les ETI 4 milliards»... Heureusement, depuis le 8 janvier 2022, la Banque de France s'est emparée du problème en renforçant sa vigilance, et en faisant apparaître, dans les grandes entreprises et les ETI, de mauvais comportements de paiement.

Si les retards de paiement sont l'une des causes des difficultés des entreprises, Eric Feldmann pointe également le manque de connaissances basiques des chefs d'entreprise à la comptabilité, les «privant ainsi de signaux pour leur éviter le danger» ; et de proposer, en échange d'une fiche KBIS d'immatriculation au registre du commerce, une attestation de formation certifiée par un organisme agréé par l'Etat, à la comptabilité et aux règles de base d'une gestion d'entreprise. «On le constate trop souvent : le chef d'entreprise connaît parfaitement son business mais néglige sa trésorerie et son besoin de fonds de roulement.»

78% des procédures amiables connaissent une issue favorable

En 2022, le TCLM observe que 80% de TPE de moins de 10 salariés ont eu recours aux procédures amiables contre quasiment 0% entre 2018 et 2019. La grande majorité connaît une issue favorable à hauteur de 78% alors qu'elle chute à 40% dans les procédures collectives grâce aux plans de cession. Ainsi, au 31 octobre 2022 en France, on dénombrait 5 760 procédures amiables (contre 5 429 pour toute l'année 2021).

«Au TCLM, les procédures amiables ont représenté 64 mandats ad-hoc (contre 25 en 2021, soit +156%) et 37 conciliations pour 18 731 salariés concernés» précise le président, tout en rappelant que les 7 juges délégués de la cellule détection-prévention ont réalisé deux fois plus d'entretiens en 2022. Si l'on ne peut que se féliciter de la prise en compte de la prévention, force est de constater que derrière ces chiffres se cachent de réelles difficultés rencontrées par les dirigeants : difficultés à répercuter les hausses de matières premières sur les prix de vente, difficultés d'approvisionnement, augmentation du coût de transport, difficultés de recrutement mais aussi crise énergétique... auxquelles il semble encore difficile de faire face en ce début d'année 2023.

Heureusement, les entrepreneurs des Hauts-de-France peuvent se féliciter des outils financiers mis en place, à l'image du Fonds Premier Secours, sous l'impulsion de Xavier Bertrand et qui fêtera ses 6 ans en avril 2023. Il a permis, au 31 octobre 2022 de sauvegarder 3 029 emplois par l'injection de plus de 20 millions d'euros sur les entreprises du ressort des 11 tribunaux de commerce régionaux. «Le dirigeant s'affranchit de sa peur légendaire du tribunal et franchit la porte de ce dernier pour étudier son éligibilité à la prévention, étape incontournable pour solliciter le Fonds Premier Secours» se réjouit Eric Feldmann. Pour l'instant réservé aux TPE de 0 à 25 salariés, il serait possible d'étendre ce Fonds aux entreprises de 25 à 50 salariés, au vu de son efficacité, particulièrement durant la crise Covid.

Après le Covid, la crise énergétique

Déjà lourdement impactés, les chefs d'entreprise doivent aussi faire face aux problèmes des coûts de l'énergie, quelque soit les secteurs d'activité. «Quand le coût de l'énergie passe de 2% du chiffre d'affaires à 15, 20 ou 40%, comment peut-on faire face ?» s'interroge Eric Feldmann, qui tout en soulevant le travail de la Task Force Energie mise en place par de nombreux acteurs économiques en septembre 2022, s'inquiète sur le futur de l'industrie européenne, alors que le souhait de la souveraineté avait été largement soulevé lors de la crise Covid : «Vu le coût de l'énergie européenne, les investisseurs industriels sont tentés de rapatrier leurs unités de production chinoises non pas en Europe mais aux USA, là où l'énergie est 4 à 5 fois moins chère ! (...) L'Europe ne considère pas pour l'instant l'industrie comme une priorité.»

Une partie des juges consulaires. © Lena Heleta

Cette audience solennelle aura également été l'occasion pour le TCLM de signaler une nouvelle fois son approbation au Tribunal des Affaires Economiques – évoqué lors des Etats Généraux de la Justice, avec notamment une formalisation de propositions pour la justice commerciale et prud'hommale –. L'idée serait d'instituer, à titre expérimental pour deux ans, la mise en place de TAE, afin «d'élargir le champ de compétence et d'intervention des tribunaux de commerce à toute structure qui tient une comptabilité et établit un bilan.»

Si Eric Feldmann se garde bien de tout pronostic sur cette année 2023 qui s'ouvre dans un contexte économique incertain, il se satisfait néanmoins que la prévention semble prendre davantage son ancrage auprès des chefs d'entreprises et que l'optimisme reste de mise pour continuer de créer des emplois et d'en sauvegarder.