Conjoncture
Hauts-de-France : l'économie régionale peine à reprendre son souffle
On ne parlerait plus de crise mais plutôt de "polycrise". Les acteurs économiques régionaux sont unanimes : il ne faut plus simplement faire preuve de résilience mais bien de vivre avec les crises permanentes. Malgré quelques signaux positifs, le ciel est encore bien gris au-dessus des têtes des dirigeant(e)s.
Légère embellie pour l'agriculture malgré un contexte sous tension
Confrontés à une conjoncture difficile depuis plusieurs mois, les agriculteurs régionaux semblent enfin pouvoir relever la tête : selon la Chambre d'agriculture Hauts-de-France, 78% d'entre eux jugent leurs résultats bons ou plutôt bons en 2022 (contre 52% en 2021). C'est notamment le cas pour les professionnels des céréales, des oléoprotéagineux, des bovins viande et lait ou encore des pommes de terre. Malgré tout, deux tiers des agriculteurs sont incertains pour 2023, comme en témoigne Laurent Degenne, président de la CRA Hauts-de-France : « Nous avons des défis à relever mais il faut payer les factures. Nos charges ont été totalement déstabilisées en 2022, notamment par les sécheresses. »
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 90% des agriculteurs sont préoccupés par la hausse des charges, qui pèse fortement sur les engrais, dont la production est très énergivore. D'autant plus qu'en bout de chaîne, c'est finalement le consommateur qui garde la main : si la consommation a été très vertueuse durant le Covid avec une production locale privilégiée, aujourd'hui, les bonnes résolutions semblent avoir été mises au placard.
Dans la consommation des ménages, l'alimentation, véritable variable d'ajustement, est en première ligne : -8,3% entre décembre 2021 et décembre 2022 (contre -1,9% pour les biens fabriqués et -2% pour les produits pétroliers). Avec l'énergie (+15,1%), c'est le poste de dépense qui a subi une plus importante hausse des prix (+12,1% entre 2021 et 2022).
Mais ce qui inquiète la CRA, c'est le déficit agricole : dans les Hauts-de-France, les produits bruts sont excédentaires (+650 millions d'euros sur les trois premiers trimestres 2022) mais pas les produits transformés (sucre, produits issus de la pomme de terre..., à -1 400 millions d'euros). En déficit depuis 2017, la balance commerciale régionale se dégrade régulièrement : les importations alimentaires, en valeur, augmentent plus rapidement que les exportations. Si les agriculteurs sont prêts à investir pour l'avenir (dans l'investissement en bâtiment ou matériel pour 31% d'entre eux, dans la transition énergétique pour 21%, la transition agroécologique pour 18%), encore faudra-t-il que les trésoreries le permettent...
Sphère productive : entre progression et ralentissement
Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne même l'industrie régionale se porte plutôt bien. Le chiffre d'affaires, quelque soit le secteur a été porté à la fois par une hausse des quantités produites et par l'augmentation du prix facturé (+12,4% du CA en 2022 et une prévision de +3,4% en 2023). C'est le secteur de la métallurgie et des produits métalliques qui a connu la plus importante hausse (+20,8%), une augmentation à relativiser puisqu'elle découle de la flambée des prix due à la hausse du coût de l'énergie.
L'investissement a aussi observé une reprise (+12,8%), sauf dans l'industrie agroalimentaire. Néanmoins, sur une industrie régionale qui pèse 4 milliards d'euros, les effectifs sont en léger recul, sous le coup des difficultés de recrutement ou d'un moindre recours à l'interim.
Seul un tiers des industriels a vu sa rentabilité augmenter entre 2021 et 2022 et pour 2023, les chiffres ne sont pas forcément au beau fixe : alors qu'ils étaient 45% à prévoir une hausse de leur rentabilité en 2022, ils ne sont plus que 24% en ce début d'année.
Pour les services marchands (hors hébergement-restauration), l'année a été plutôt favorable : le CA a augmenté de 8,6%, les effectifs de 3,3% ; après une baisse estimée des investissements en 2022 (-3,3%), le chiffre devrait repartir à la hausse avec +14% estimés en 2023, poussée par le transport routier régional et ses investissements à hauteur de 2,7 milliards d'euros.
Du côté du BTP, malgré une hausse de la production totale du secteur de la construction en 2022 (+5,8%), les chefs d'entreprise tablent sur un net ralentissement de la croissance de la production, avec une quasi stabilité de l'activité dans les Travaux publics par rapport à 2022. D'autant plus qu'avec un coût de production en hausse de 7%, le recours à l'investissement est nettement moins favorable. 43% des entrepreneurs du bâtiment voient tout de même leur carnet de commandes en hausse, contre 16% dans les travaux publics mais ils sont tous unanimes sur la baisse de leur rentabilité entre 2022 et 2023.
L'artisanat peine à se relancer
2021 avait montré de beaux signes de reprise, mais malheureusement 2022 a douché pas mal d'artisans : maintien des tensions d'approvisionnement, coûts élevés des matières premières, envolée des tarifs énergétiques, inflation... Malgré un président de la Chambre des métiers et de l'artisanat dynamique et impliqué, les temps sont durs : « On va se battre pour que l'économie de proximité continue. Mais il faut vivre dans la réalité : le plus dur est devant nous et je crains le choc économique de nos entreprises. En 2022, les chiffres ne sont pas si mauvais mais nos 120 000 entreprises artisanales souffrent », alerte Laurent Rigaud.
Sauf dans le bâtiment, l'activité en 2022 a été en sous-régime : l'alimentaire, la production et les services ont tous été en sous-activité. Le bâtiment tire son épingle du jeu grâce à une demande supérieure à l'offre. Les deux ans de crise Covid puis la guerre en Ukraine ont pesé sur les trésoreries, particulièrement dans l'alimentaire (pour 77% des artisans du secteur). Malgré tout, 58% des artisans ont investi en 2022 même s'ils n'envisagent pas d'amélioration à court terme pour 2023. 78% d'entre eux craignent pour la pérennité de leurs entreprises face à la succession de crises.
Des freins et toujours des difficultés de recrutement
De son côté, la CCI Hauts-de-France observe plusieurs tendances : un recul du pouvoir d'achat déploré par les dirigeants, une augmentation des prix des matières premières et une augmentation du coût de l'énergie. Une dernière difficulté exacerbée dans l'hôtellerie-restauration (53% des répondants) et dans l'industrie, pour 61%. Alors que 28% des interrogés constataient une augmentation du coût de l'énergie en 2022, ce chiffre grimpe à 48% cette année et près de la moitié des dirigeants ont subi une hausse des coûts des tarifs énergétiques en 2022.
Les créations d'entreprises stagnent légèrement (-0,9%), notamment au niveau des micro-entreprises et des entreprises individuelles. La vigilance est de mise concernant les défaillances d'entreprise, en hausse de 79% par rapport à 2021 avec des évolutions jamais atteintes dans l'hôtellerie-restauration (+178%), les débits de boisson (+154%) et le commerce de détail (+95%).
Enfin – et on en parle désormais depuis plusieurs années –, les difficultés de recrutements pèsent sur un dirigeant sur quatre avec une proportion plus importante dans la construction (47%), le transport-logistique (42%) ou encore l'industrie (40%). « Il faut changer la façon de recruter, aujourd'hui il ne suffit plus de passer une annonce pour capter les collaborateurs. Les dirigeants en ont conscience et mettent en avant le cadre de travail, les valeurs de l'entreprise ainsi que l'équilibre vie professionnelle/ vie personnelle» abonde Grégory Stanislawski, directeur CCI Études Hauts-de-France.
Si les acteurs économiques se gardent d'entrer dans l'éco-anxiété, il semble que les chefs d'entreprise, après avoir fait preuve d'énormément de résilience, vont encore devoir puiser dans leurs ressources pour porter, à bout de bras, leur entreprise vers de jours meilleurs.