Exploiter un fonds de commerce sur le domaine public, c’est désormais possible
La loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, ouvre la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public et permet ainsi aux personnes publiques de valoriser leur domaine.
Charlotte HERMARY
(charlotte.hermary@fidal.com), avocate, droit public
L ’article 72 de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, relative à “l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises”, introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques quatre nouvelles dispositions1 , consacrant la possibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public.
Cette évolution législative met fin à la cacophonie des juridictions suprêmes et remet en cause la position de principe défendue avec acharnement par le Conseil d’Etat2 . Alors que la Cour de cassation n’a eu de cesse de réaffirmer qu’il était possible d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public, sous réserve que l’entreprise soit titulaire d’une clientèle réelle et personnelle, le Conseil d’Etat considérait, pour sa part, qu’“eu égard au caractère révocable, pour un motif d’intérêt général, d’une convention portant autorisation d’occupation du domaine public, ainsi que du caractère personnel et non cessible de cette occupation, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire”.
Le nouvel article L.2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) met ainsi un terme à cette divergence de jurisprudences et dispose qu’“un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public, sous réserve de l’existence d’une clientèle propre”.
Cette disposition fixe une seule condition à la mise en œuvre de cette possibilité : l’existence d’une clientèle propre. La clientèle devra être rattachée à ce fonds de façon autonome, c’est-à-dire que la clientèle du commerçant ne pourra être la même que celle du domaine public. Les travaux parlementaires n’ayant pas précisé cette notion de “clientèle propre”, il appartiendra au juge administratif de déterminer si la clientèle est bien celle du commerçant et non celle du gestionnaire du domaine public.
Cession et transmission successorale du fonds. La loi Pinel organise également la cession et la transmission successorale du fonds de commerce3 . Toute personne désirant acquérir un fonds de commerce pourra demander à l’administration compétente une autorisation d’occupation temporaire pour l’exploitation du fonds concerné. De même, les ayants droit pourront décider soit de poursuivre l’exploitation du fonds, soit de présenter à l’administration un successeur. Notons à cet égard que l’autorisation d’occupation du domaine public reste un titre précaire, révocable et compatible avec l’affectation du domaine, de sorte que l’administration conserve la maîtrise de l’octroi et du retrait du titre d’occupation.
Indemnisation améliorée. Ces nouveaux textes ont non seulement le mérite d’améliorer la situation des commerçants désireux de vouloir s’installer sur le domaine public mais leur assure également une entière indemnisation en cas de résiliation de leur titre d’occupation. L’impossibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public faisait obstacle à ce que l’occupant évincé se prévale de la perte de son fonds de commerce. Il ne pouvait prétendre qu’à la réparation du préjudice consécutif à la résiliation (perte des bénéfices, dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine). Désormais, le commerçant installé sur le domaine public et évincé verra l’intégralité de son préjudice indemnisé.
Précisons que le législateur n’a pas entendu lier droit au bail et propriété commerciale. Le droit au bail n’est pas une condition nécessaire à la constitution d’un fonds de commerce, le bail commercial reste donc interdit sur le domaine public.
On peut néanmoins regretter que la constitution d’un fonds de commerce soit impossible sur le domaine public naturel4 . De toute évidence, le domaine public maritime aurait accueilli de nombreuses activités commerciales.
1 Articles L.2124-32-1, L.2124-33, L.2124-34 et L.2124-35.
2 CE, 28 avril 1965, Assoc. T… ; CE, 19 janvier 2011, n°323924 ; CAA Nantes, 9 mai 2014, n°12NT03234.
3 Articles L.2124-33 et 2124-34 CGPPP.
4 Art. L.2124-35 CGPPP.