Justice
Développer les partenariats entre élus et procureurs pour faciliter le traitement des incivilités
Au cours de son audition par la délégation aux Collectivités territoriales du Sénat, le 23 février dernier, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a présenté les actions mises en œuvre par son ministère pour développer les relations entre la justice et les élus locaux, dans un contexte de forte hausse des violences à leur encontre.
« Environ 1 190 élus ont été pris comme cibles au cours des onze premiers mois de 2021, dont 605 maires et adjoints [ndlr, les autres sont des parlementaires], soit une hausse très significative des violences contre des élus. » Des chiffres qui, selon la présidente de la délégation aux Collectivités territoriales du Sénat, Françoise Gatel en disent long sur l’aggravation de ce phénomène en France.
« Au-delà des agressions physiques, il y a une sorte de peur qui s’installe, et qui a une emprise sur la famille aussi. » Cette situation « porte un coup très important à notre démocratie », dans la mesure où cela peut « remettre en cause la volonté d’engagement des élus », a souligné la sénatrice, avant de rappeler que 84 communes françaises n’ont pas eu de candidats aux élections municipales en 2014, et qu’elles étaient plus de 100 dans ce cas en 2020.
Violences à l’égard des élus : quelles suites judiciaires ?
Interrogé sur les suites judiciaires données aux violences à l’encontre d’élus, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a présenté aux sénateurs les mesures prises par son ministère pour faciliter le traitement de ces menaces et agressions. « Nous avons demandé à ce que les faits soient justement qualifiés, ce qui n’était pas toujours le cas, car le fait que la victime est un élu constitue une circonstance aggravante », a-t-il rappelé, et « j’ai également souhaité qu’il y ait systématiquement des déferrements ».
Depuis, le nombre d’affaires relatives à des menaces pour lesquelles des peines d’emprisonnement ont été prononcées est passé de 52% à 62%. Pour les affaires concernant des violences physiques, « entre janvier et juin 2021, 50% ont fait l’objet de poursuites devant le tribunal – les autres n’étant pas susceptibles d’être déferrées, parce qu’on ne connaît pas l’auteur, par exemple – et 80% d’entre elles ont donné lieu à une peine d’emprisonnement ferme ». Enfin, « une attention particulière est portée à l’information des élus victimes », afin qu’ils soient tenus au courant par le parquet des suites données à leur affaire.
« Au-delà des textes, tout est affaire d’application »
Au-delà du traitement des violences à l’égard des élus, la délégation aux Collectivités territoriales du Sénat a interrogé le ministre sur l’ensemble des dispositions prises pour développer les relations entre les élus locaux et les procureurs.
La Chancellerie a diffusé deux circulaires sur le sujet, la première en novembre 2019, signée par la ministre Nicole Belloubet, et la seconde, en septembre 2020, à l’initiative de l’actuel garde des Sceaux. Toutes deux invitaient notamment les parquets « à cultiver territorialement une relation de proximité avec les élus » et « une politique pénale ferme, rapide et diligente, en répression des actes commis », a pointé la sénatrice Françoise Gatel.
Mais, « au-delà des textes, nous savons, les uns et les autres, que tout est affaire d’application », a-t-elle rappelé, avant de demander au ministre de présenter un « bilan très précis » des relations qui ont été nouées entre la justice et les élus ou les associations d’élus.
Faciliter la fluidité de l’information entre élus et procureurs
La justice et les élus locaux sont « deux mondes qui, parfois, ne se parlent pas, au détriment de l’action publique et de l’action politique », a regretté le garde des Sceaux, qui a souhaité y remédier avec sa circulaire. Aujourd’hui, « 60% des tribunaux judiciaires ont mis en place une boîte mail, ou un autre outil dédié, pour faciliter la fluidité de l’information entre le procureur et les élus locaux du ressort, et 75% d’entre eux ont désigné un ou des magistrats pour être spécifiquement l’interlocuteur des élus ».
De plus, « de nombreux parquets ont adopté des protocoles pour faciliter la dénonciation des faits et renforcer la connaissance entre les deux institutions ». Quant au rappel à la loi, « qui ne fait peur qu’aux honnêtes gens », il a été remplacé par l’avertissement pénal probatoire. « Des parquets ont également conclu des conventions avec les communes, afin de favoriser la mise en œuvre par les maires de leurs prérogatives propres », dont leurs missions d’officier de police judiciaire.
« 60% des tribunaux judiciaires ont signé des conventions de rappels à l’ordre avec des communes » pour améliorer le traitement des petites incivilités. « Puisque vous êtes des élus des territoires, dites aux maires que ce rappel à l’ordre est utile », a lancé le ministre à l’attention des sénateurs, pour qu’ils incitent les élus locaux à s’emparer de cette disposition.
De nouvelles propositions à venir
Au final, « nous avons bien avancé sur ces questions », même si « certains parquets n’ont pas appliqué comme je l’aurais souhaité les directives que j’avais données au Procureur général », a conclu Éric Dupond-Moretti. « Bien entendu, le travail n’est pas fini » et « je suis convaincu que l’on peut aller beaucoup plus loin dans le renforcement des partenariats entre parquets et élus locaux ». C’est pourquoi la Chancellerie a créé un groupe de travail sur le renforcement des relations entre les parquets et les élus, lequel doit rendre son rapport dans quelques semaines.