Des Sages "compétents, expérimentés et indépendants": les conseils de Fabius avant de quitter le Conseil constitutionnel
Le 7 mars à minuit, Laurent Fabius quittera la présidence du Conseil constitutionnel, après neuf ans passés à sa tête. Dans un entretien à l'AFP, celui qui a œuvré pour mieux faire connaître cette institution livre ses réflexions...
Le 7 mars à minuit, Laurent Fabius quittera la présidence du Conseil constitutionnel, après neuf ans passés à sa tête. Dans un entretien à l'AFP, celui qui a œuvré pour mieux faire connaître cette institution livre ses réflexions sur le rôle et l'évolution de cette dernière.
QUESTION: à quoi sert le Conseil constitutionnel?
REPONSE: Quand il a été créé par le général De Gaulle, on qualifiait souvent le Conseil constitutionnel de "chien de garde de l'exécutif". Aujourd'hui, c'est une véritable cour constitutionnelle, même s'il peut exister des appréciations différentes parce que se produit parfois dans l'opinion une confusion entre le juridique et le politique. Notre mission n'est pas d'ordre politique, elle est de juger en droit. Mon prédécesseur Robert Badinter utilisait une formule que je fais totalement mienne : "Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement inconstitutionnelle". Quand nous sommes saisis d'une disposition législative, nous ne nous demandons pas si elle est opportune ou non, mais si elle est conforme ou non à la Constitution.
Q: comment voyez-vous le rôle du Conseil en cas d'arrivée de l'extrême droite au pouvoir en France?
R: Le rôle du Conseil constitutionnel est de faire respecter la Constitution. Ses neuf membres doivent répondre à trois exigences : la compétence, l'expérience et l'indépendance. On nous appelle les Sages, à nous de mériter ce titre.
Q: vers quoi le Conseil doit-il évoluer selon vous?
R: Il existe plusieurs évolutions possibles : la première, qui désormais fait consensus, ce serait de prendre acte que les anciens présidents de la République n'ont pas vocation à siéger au Conseil. Autre piste envisageable : exiger un certain délai, par exemple trois ans, entre le moment où une personnalité a appartenu au gouvernement ou au Parlement et sa nomination au Conseil. Il est important également que les autorités de nomination veillent dans leur choix à se rapprocher de la parité.
Q : vous présidez mardi, à la cour d'appel de Versailles, la douzième audience délocalisée du Conseil. Vous avez initié ces audiences publiques organisées hors de Paris. Pourquoi avoir imaginé ce dispositif?
R : Le Conseil constitutionnel siège habituellement au Palais-Royal, mais l'un des buts que je m'étais fixés pour ma présidence était d'ouvrir le Conseil vers l'extérieur et de faire mieux connaître son rôle. Lors de nos déplacements en région, nous commençons avec mes collègues par aller dans un lycée le matin, nous rencontrons les enseignants et les élèves, puis les magistrats du ressort de la cour d'appel, avant de déjeuner avec les responsables locaux. Ensuite nous tenons notre audience qui examine deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), le public est présent, ce qui lui permet de se familiariser avec la façon dont nous travaillons. Je reviens personnellement la semaine suivante devant la faculté pour faire connaitre et expliquer nos décisions. Il est important, surtout dans une période de malaise démocratique évident, de faire mieux comprendre le rôle de la Constitution et du Conseil constitutionnel, pourquoi il faut des règles dans une société. Nos déplacements ont toujours été jugés positivement par ceux qui nous reçoivent et pour nous juges, c'est un moyen précieux de garder un lien étroit avec les acteurs de terrain.
Q: Introduites en 2010, qu'ont changé les QPC dans la vie démocratique française?
R: Jusqu'à la réforme des QPC, ne pouvaient être déférées devant le Conseil constitutionnel que des lois qui venaient d'être adoptées et qui n'étaient pas encore promulguées. Le vaste stock des lois existantes ne pouvait faire l'objet d'un recours. D'autre part, seuls pouvaient nous saisir le président de la République, le Premier ministre et les présidents des Assemblées, ou 60 députés ou 60 sénateurs. Depuis 2010, tout justiciable peut nous saisir, à partir de n'importe quelle juridiction, à propos des lois déjà existantes. C'est un droit nouveau ouvert à nos concitoyens. Le Conseil a examiné jusqu'ici plus de 1.100 QPC. Cela représente désormais 80% de notre activité, alors que cette possibilité n'existait pas il y a 15 ans.
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