Commande publique et prix des matières premières
Par une circulaire, datée du 30 mars, le gouvernement précise aux différentes administrations la manière d’agir face à la flambée des prix de certaines matières premières et leurs conséquences sur les contrats publics.
Le sujet avait déjà fait l’objet d’une «fiche technique» publiée par la Direction des Affaires Juridiques de Bercy le 18 février dernier, cette nouvelle circulaire est autrement plus solennelle. Elle vise les administrations centrales et préfectorales pour leurs marchés publics ou leurs concessions. Toutefois, Matignon «invite» les préfets à «sensibiliser les collectivités locales et leurs établissements publics» à ces règles. En clair, toutes les administrations sont concernées et ce, pour tous leurs contrats publics.
Si la liste des destinataires est donc large, le ton n’en est pas moins alarmant, dès les premières lignes du texte : «L'instabilité et l'envolée sans précédent des prix de certaines matières premières, tout particulièrement du gaz et du pétrole, constituent une circonstance exceptionnelle.de nature à affecter gravement, dans plusieurs secteurs d'activité, les conditions d'exécution des contrats, voire leur équilibre économique, et à mettre en danger la pérennité de nombreuses entreprises, ainsi que l'emploi de leurs salariés, et par voie de conséquence la continuité même des services publics».
Dans ce contexte, le Premier ministre donne aux administrations quelques clefs permettant de palier ces difficultés.
Pour les projets de contrats
En ce qui concerne les marchés à passer, Matignon attire de nouveau particulièrement l’attention des acheteurs sur le prix, en leur demandant de «s’assurer que les marchés conclus par vos services respectent les dispositions des articles R.2112-13 et R.2112-14 du Code de la commande publique qui prohibent le recours au prix ferme lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs.»
L’article R. 2112-13 du Code de la commande publique prévoit, en effet, que les marchés publics doivent être conclus à prix révisables, lorsque les prestations sur lesquelles ils portent sont exposées à des aléas majeurs. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs déjà jugé que la méconnaissance de cette obligation constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 9 décembre 2009, n° 328803).
Pour l’acheteur qui souhaite passer un marché potentiellement soumis à «des aléas majeurs» de prix, il s’agit d’insérer dans le contrat une «clause de révision» devant obligatoirement fixer la date d’établissement du prix initial, les modalités de calcul de la révision, ainsi que sa périodicité. Sur ce point précis, pour ne pas pénaliser les entreprises titulaires, le Premier ministre impose une règle : les formules de révision de prix ne contiendront pas «de terme fixe» et les contrats «ni clause butoir, ni clause de sauvegarde».
Pour les contrats en cours d’exécution
Pour les marchés déjà conclus, la situation est plus inconfortable pour les titulaires des marchés et les acheteurs. Toutefois, plusieurs mécanismes permettent d’atténuer les effets néfastes de la conjoncture économique. Le Premier ministre invite, ainsi, au cas par cas, les administrations à étudier l’éventualité d’une modification des contrats en cours d’exécution. Les articles R. 2194-5 du Code de la commande publique (pour les marchés) et R. 3135-5 (pour les contrats de concession), permettent, en effet, à l’acheteur de modifier le contrat «lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir.»
Attention, cependant, deux importantes limites à ce pouvoir existent : le Code de la commande publique prévoit expressément que «le montant de la modification prévue à l'article R. 2194-2 ne peut être supérieur à 50% du montant du marché initial». Le principe est identique pour les contrats de concession. Surtout, les modifications successives «ne doivent pas avoir pour objet de contourner les obligations de publicité et de mise en concurrence».
Ensuite, comme l’a d’ailleurs rappelé le Conseil d’Etat dans une décision de 2018 : «la personne publique n'est pas tenue de faire application des pénalités de retard et le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté» (CE, 9 nov. 2018, n° 413533).
Ainsi, parallèlement à l’aménagement des délais d’exécution, le Premier ministre invite l’ensemble des administrations à ne pas appliquer ces pénalités : «je souhaite que l'exécution des clauses des contrats prévoyant des pénalités de retard ou l'exécution des prestations aux frais et risques du titulaire soient suspendues tant que celui-ci est dans l'impossibilité de s'approvisionner dans des conditions normales».
Attirer l’attention des acheteurs publics sur la «théorie de l’imprévision»
Preuve de la dégradation réelle de la situation, alors que son application n’était qu’à peine mentionnée dans la fiche technique de la DAJ du 18 février dernier, la circulaire du 30 mars y consacre une pleine page. La théorie de l'imprévision, désormais codifiée au 3° de l'article L. 6 du Code de la commande publique, prévoit qu’en cas de survenance d'un «événement extérieur aux parties, imprévisibles et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat», le cocontractant qui en poursuit l'exécution a droit à une indemnité. L’obtention de cette indemnité est toutefois soumise à de nombreux aléas et conditions.
D’une part, il est rappelé que «l'imprévision» n'est admise que si «l'économie du contrat se trouve absolument bouleversée», ce qu’avait déjà jugé le Conseil d’Etat. L’étude de la jurisprudence administrative (rare en la matière) montre que cette condition n'est, en principe, considérée comme remplie que lorsque les charges extracontractuelles ont atteint environ un 1/15ème du montant initial HT du marché ou de la tranche. D’autre part, la circulaire énonce qu’il n'y a pas lieu de recourir à la théorie de l'imprévision lorsque le marché comporte un mécanisme de révision de prix en fonction de la conjoncture économique, ce qui semble pour le moins logique, celui-ci ayant justement pour but d’empêcher tout bouleversement économique du contrat. Enfin, et en tout état de cause, même si l’imprévision est caractérisée, la circulaire rappelle que «le montant de l'indemnité doit être déterminé au cas par cas», celle-ci ne pouvant «être supportée par l'administration seule». En moyenne, la jurisprudence a fixé la part d'aléa laissée à la charge du titulaire à 10 % du montant du déficit résultant des charges extracontractuelles.