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Ces entreprises à mission qui ouvrent la voie
Six ans après la loi Pacte qui a consacré leur existence, la France compte plus de 2027 entreprises à mission. Témoignages de ces pionnières qui expérimentent des modèles conciliant rentabilité et objectifs sociétaux ou environnementaux.

À quoi ressemblent ces pionnières ? Le 25 mars, à Paris, au ministère de l’Économie, la CEM, Communauté des entreprises à mission a présenté la 8ème édition du baromètre « Portrait des sociétés à mission 2024 ». Cette qualité définie par la loi Pacte de 2019 prévoit que l'entreprise intègre dans ses statuts une raison d'être, des objectifs (sociaux, environnementaux...) ainsi qu'une gouvernance associée. Le témoignage de trois représentants de ces sociétés a illustré la variété de ces dernières et de leurs trajectoires.
Chez Enedis, distributeur historique d'énergie qui emploie 40 000 salariés, «il n'y a pas eu de grand soir (…). La société à mission prolonge notre démarche de service public. Ce qui nous a poussés à devenir entreprise à mission est l'idée qu'il faut aller plus loin sur les enjeux environnementaux», explique Catherine Lescure, directrice impact et communication chez Enedis, confronté de manière toujours plus aiguë aux aléas climatiques et aux évolutions sociétales (EnR, mobilité électrique... ). Chez GPA, recycleur automobile (300 salariés, 80 millions d'euros de chiffre d'affaires), entreprise familiale fondée dans les années 1960, le choix d'entreprise à mission s'inscrit lui aussi dans une continuité. «Dans la phase de transmission entre la deuxième et la troisième génération, cela permet de fixer ces valeurs que nous ont transmises nos parents et que nous voulons perpétrer car elles sont la boussole de l'entreprise», précise Evelyne Barberot, co-directrice générale de GPA.
Le cas de Sublime Energie est totalement différent : la start-up est née comme entreprise à mission, dans la foulée de la promulgation de la loi Pacte. «Je ne sais pas si j'aurais créé la société sans cela. Cela a permis de graver dans le marbre ce que je voulais faire», explique Bruno Adhémar, co-fondateur et président de la société spécialiste de la valorisation du biogaz issu de la méthanisation dans les fermes. Son but ? Contribuer à «mettre les carburants fossiles au musée», «apporter des revenus aux agriculteurs», «développer l'activité dans es territoires » et « rendre un peu à la recherche ce qu'elle a apporté».
Ovni ou locomotive
Résultat de cette volonté affirmée, « nous sommes vus un peu comme un Ovni dans le secteur énergétique qui est extrêmement concurrentiel », constate Bruno Adhémar. Dans la recherche d'investisseurs, «cela peut rebuter certains fonds, mais cela fait aussi de vraies rencontres», poursuit l'entrepreneur. Évelyne Barberot, elle, constate des effets positifs tangibles de son choix en matière de recrutement, de cohésion dans l'entreprise et de relations commerciales. «Nous avions un déficit d'image prégnant et il est difficile de recruter dans la Drôme (…) Passer entreprise à mission est aussi une manière de communiquer qui nous a permis de recruter des super compétences (…) Cela a créé une dynamique puissante dans l'entreprise car nous avons embarqué les salariés dans ce projet», témoigne Evelyne Barberot. Autre effet positif : en devenant le premier recycleur automobile entreprise à mission, la société s'est démarquée de ses concurrents vis-à-vis des assureurs, indispensables partenaires.
Et les changements ne s'arrêtent pas là : GPA a créé un fonds de dotation pour « structurer une stratégie de mécénat », afin de mener des actions qui découlent de ses valeurs (solidarité, insertion, environnement...) et dépassent le cadre de l'entreprise. Chez Enedis aussi, le rayonnement de la mission de l'entreprise dépasse le cadre de la société. «Comme acteur qui travaille avec un écostytème très large, nous avons l'ambition de le porter avec nous», explique Catherine Lescure. Par exemple, Enedis déploie de nombreux «chantiers bas carbone» qui impliquent des interactions avec les collectivités locales, les entreprises de travaux publics. La société travaille à diffuser la pratique de réutilisation locale de la terre excavée lors des travaux, une démarche non usuelle.
34% de «mission native»
«On assiste à une extension rapide du modèle d'entreprise à mission», a déclaré Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et moyennes entreprises et de l'Économie sociale et solidaire, en introduction à la présentation du baromètre. Au 31 décembre 2024, ce dernier recensait 1 961 sociétés à mission, contre 1 585 l'année précédente. En dépit du contexte économique compliqué, la dynamique ne s'est pas essoufflée. Pour l'essentiel, les entreprises à mission sont des PME : 60,8% d'entre elles comptent moins de 10 salariés. Au niveau territorial, ces sociétés semblent se développer un peu partout, avec une mention spéciale pour les Pays de la Loire, où elles sont surreprésentées. En termes de secteurs, « on note une prédominance des services dans une définition très large, mais d'autres secteurs connaissent une dynamique », ajoute Guillaume Densoës, co-président de la CEM. Par exemple, des sociétés à mission ont vu le jour dans l'agroalimentaire ou l'immobilier.
Autre constat, celui d'une convergence entre l'entreprise à mission et d'autres démarches. Par exemple, 160 d'entre elles sont labellisées B corp (sociétal, environnemental, gouvernance) et 39 détiennent un label Esus, Entreprise solidaire d'utilité sociale. Tendance encourageante pour l'avenir, si 46% de ces sociétés ont été créées avant la loi Pacte – avec une doyenne qui a plus de 100 ans - , 34% d'entre elles sont « mission native ». «Aujourd'hui, les entrepreneurs se posent la question de l'objet social de leur projet», analyse Guillaume Densoës. Pour Helène Bernicot, co-présidente de la CEM, preuve est faite que l'entreprise à mission est un modèle qui fonctionne : « Il donne du sens et il est pragmatique ».