Cadeaux d'Urgo: la ministre de la Santé Firmin Le Bodo sur la sellette
Moins de deux jours après sa prise de fonction, par intérim, dans le sillage de la démission d'Aurélien Rousseau, la ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo se retrouve empêtrée dans une affaire de cadeaux illicites reçus...
Moins de deux jours après sa prise de fonction, par intérim, dans le sillage de la démission d'Aurélien Rousseau, la ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo se retrouve empêtrée dans une affaire de cadeaux illicites reçus dans le cadre de sa profession de pharmacienne.
Produits de luxe, montres, bouteilles de vin et magnums de champagne, cocotte en fonte et coffrets week-end: la ministre fait l'objet d'une enquête judiciaire pour avoir reçu des cadeaux des laboratoires Urgo, qui lui auraient été offerts de 2015 à 2020 pour une valeur totale de 20.000 euros, selon Mediapart, qui a révélé l'affaire jeudi.
"Dans le cadre de ma fonction de pharmacien, une enquête est en cours. Permettez-moi de réserver les échanges que je devrais avoir avec les autorités compétentes", a déclaré vendredi sur France Bleu Normandie la ministre, propriétaire d'une officine au Havre.
Les cadeaux étaient proposés par Urgo contre une renonciation du pharmacien à une remise commerciale de la part du laboratoire à l'officine: cette pratique interdite a concerné un grand nombre de pharmaciens et le laboratoire a été condamné en janvier 2023 à une amende de 1,125 million d’euros - dont 625.000 euros avec sursis - par le tribunal correctionnel de Dijon, après une enquête de la répression des fraudes (DGCCRF).
Selon des sources professionnelles, la DGCCRF enquête sur tous les pharmaciens ayant accepté ces cadeaux.
Accepter un cadeau en échange du renoncement à une remise commerciale est interdit.
"C'est une interdiction absolue" car il faut "garantir l'indépendance des professionnels de santé" pour qu'ils ne recommandent pas tel ou tel produit par intérêt personnel, explique à l'AFP Carine Wolf-Thal, la présidente de l'Ordre des pharmaciens, qui n'exclut pas "des poursuites disciplinaires" liées à l'affaire Urgo.
"Les lois anti-cadeaux, qui concernaient essentiellement les médecins, ont été étendues aux pharmaciens dans les années 2000", indique à l'AFP Philippe Besset, président du principal syndicat de pharmaciens d'officines FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France).
Exemplarité indispensable
Le pharmacien "n'a pas le droit en tant que personne physique de recevoir des cadeaux", ajoute-t-il. "La pharmacie peut par exemple négocier d'avoir un frigo d'un fabricant de vaccins, mais le pharmacien n'a pas le droit d'avoir ce même frigo chez lui. C'est une nuance un peu subtile, et malgré les rappels du conseil de l'ordre et du syndicat, visiblement les messages ne passent pas complètement bien".
"La majorité des pharmaciens trouvent cette pratique douteuse, mais il y a un grand nombre de confrères qui se sont laissés avoir par les sirènes" d'Urgo, indique-t-il.
Les cadeaux acceptés par les pharmaciens mis en cause n'en sont pas vraiment, tente toutefois d'argumenter un autre représentant des pharmaciens, sous couvert d'anonymat. Le pharmacien renonce à une remise sur les prix des produits Urgo proposés par le laboratoire et reçoit en échange des cadeaux de cette société, a-t-il expliqué. Une transaction qui se fait au détriment des comptes de l'officine.
Agnès Firmin Le Bodo, jusqu'alors ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, a été nommée mercredi ministre de la Santé par intérim après la démission d'Aurélien Rousseau pour désaccord sur la loi immigration.
Le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave a estimé vendredi sur franceinfo que "l'exemplarité est absolument indispensable, non négociable", mais "il faut laisser la justice faire son travail et dire sa vérité".
Depuis le début du second quinquennat d'Emmanuel Macron, le gouvernement a perdu trois ministres de la Santé, en comptant l'éphémère Brigitte Bourguignon, démissionnaire après sa défaite aux législatives. Sur le premier quinquennat, deux ministres avaient occupé ce poste (Agnès Buzyn puis Olivier Véran).
"Cette valse des ministres devient problématique pour la santé publique en France, même si la technostructure continue à fonctionner", déclare Philippe Besset, qui est également président des Libéraux de santé, une coalition d'organisations de professionnels libéraux de santé.
Il se dit "catastrophé" parce qu'"on a des sujets majeurs: grand âge, fin de vie, accès aux soins, attractivité des métiers, deux conventions pharmaciens et médecins en cours avec l'assurance maladie…".
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