«Les tribunaux de commerce sont les urgentistes de l'économie»

Une fois l'an, l'audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce de Lille Métropole est l'occasion est mettre en valeur son «considérable travail», mais aussi, pour son président Eric Feldmann, d'émettre quelques suggestions pour optimiser la justice consulaire.

Une rentrée solennelle dans les règles de l'art le samedi 6 janvier.
Une rentrée solennelle dans les règles de l'art le samedi 6 janvier.

 

 

Une rentrée solennelle dans les règles de l’art le 6 janvier.

 

 

Il est des traditions de l’ancien monde qui méritent leur incrustation dans le temps. Celle de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce de Lille Métropole en est, d’abord parce qu’elle est l’occasion d’échanges entre hautes autorités judiciaires, civiles, militaires, religieuses et autres invités du président Eric Feldmann de vœux de bonne année. Mais aussi, comme l’a rappelé Thierry Pocquet du Haut-Jussé, procureur de la République, celle «très concrète de donner à voir l’unité de la justice judiciaire». Et de saluer, dans le même temps, le «dynamisme», la «force de conviction et surtout (l’) investissement sans cesse réaffirmés dans (sa) mission» du président Feldmann.

L’aide psychologique en cours de déploiement

Ce fut l’occasion pour le procureur de la République de se «réjouir de l’augmentation de l’activité en matière de prévention», mais aussi de «constater que les dispositifs de prévention, administratifs comme judiciaires, sont trop souvent saisis trop tard par les chefs d’entreprise». Et d’évoquer deux initiatives prises en 2017 par le parquet, la première pour la recherche complémentaire par les services de police des débiteurs indélicats qui, alors qu’ils sont en cessation de paiement, disparaissent sans répondre aux demandes du tribunal ou du mandataire ; la seconde portant sur l’expérimentation en fin d’année 2017 à trois reprises sur Lille du dispositif APESA (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë). Celui-ci a pour objet la détection et la reconnaissance de la souffrance morale aiguë du justiciable, voire d’un risque suicidaire, dans le processus judiciaire. Il permet ainsi à tout chef d’entreprise qui en éprouve le besoin, avec son accord, de bénéficier anonymement d’une prise en charge psychologique rapide, gratuite et à proximité de son domicile, par des psychologues spécialisés dans l’écoute et le traitement de la souffrance morale provoquée par les difficultés financières. Thierry Pocquet du Haut-Jussé a souhaité que cette année, il soit déployé dans les tribunaux de commerce de son ressort.

«Le tribunal de commerce constitue un excellent observatoire de l’activité économique de notre région»

La détection–prévention «payante»

Si l’activité juridictionnelle n’a pas manqué en 2017 pour les 65 juges bénévoles et 8 conciliateurs avec 20 543 décisions rendues, le président Feldmann a pu parler d’embellie et d’amélioration du climat des affaires. Pour preuve, la baisse du nombre des mises au rôle à 7 653, contre 8 611 en 2016 et 9 204 en 2015, et des jugements rendus à 7 862 (1 385 contentieux et 6 477 procédures collectives) contre respectivement 8 828 et 9 312. Une embellie sur l’année, -19,41% en nombre pour les règlements judiciaires et -2,77% pour les liquidations judiciaires, que sont venus ternir en décembre deux redressements judiciaires de poids, Caby et D’Haenens, pour près de 400 salariés. Regrettant que les petites entreprises, trop souvent, «n’anticipent pas suffisamment leurs déboires» et qu’elles «ont peur du tribunal (…), considéré comme le croque-mort du dirigeant dans les difficultés», Eric Feldmann a opposé à «ces clichés peu flatteurs et contre-productifs» les résultats attractifs de la procédure amiable : 27 mandats ad hoc et 18 conciliations pour 7 711 emplois sauvés (contre un total de 2 893 salariés concernés par les procédures collectives judiciaires). Cette activité de détection–prévention s’est trouvée renforcée cette année par la création, le 20 avril, du fonds de premier secours éligible aux TPE-TPI de moins de 25 salariés qui traversent un trou d’air momentané. Il permet, sur initiative des présidents de tribunaux de commerce du ressort des cours d’appel de Douai et d’Amiens, de saisir le Conseil régional pour débloquer d’urgence des fonds de 5 à 50 K€, sous formes d’avances remboursables avec une période neutralisée de 6 mois et remboursable sur 36 mois. Au niveau du tribunal de commerce de Lille, 21 demandes ont été accordées en 7 mois pour un montant total versé de 900 000 € et 199 salariés concernés. Au niveau régional 48 demandes l’ont été pour 2,170 millions d’euros et 400 salariés. Le tribunal de Lille Métropole entend poursuivre ce dispositif en janvier en invitant, en totale confidentialité, les dirigeants en deuxième semestre de deuxième année de plan de continuation («en rebond» donc) à venir rencontrer un juge de la prévention pour faire un point sur leur évolution.

«Les petites entreprises ont peur du tribunal (…), considéré comme le croque-mort du dirigeant dans les difficultés»

Nouvelles obligations 

De l’année 2017, le président Eric Feldmann a aussi retenu l’édiction par la loi du 18 novembre 2016 de nouvelles obligations. En font partie la rédaction d’un recueil national de déontologie, l’obligation de déclaration d’intérêt dès 2018, la dispensation d’une formation initiale de 30 heures en huit modules pour tout nouveau juge élu pour 2 ans, dispensés par l’Ecole nationale de la magistrature, et d’une formation continue de 15 heures par an pour les juges de plus de deux ans de judicature, plus un cycle complémentaire de formation proposé à la faculté de droit de Lille sur des sujets juridiques.

Demain, des tribunaux des affaires économiques ?

À l’adresse des décideurs politiques et économiques, Eric Feldmann, comme de tradition, a émis quelques suggestions pour 2018, plaidant ainsi pour l’élargissement des tribunaux de commerce à devenir des «tribunaux des affaires économiques», à l’instar des évolutions entreprises en Belgique qui a démantelé son Code du commerce au profit d’un Code de droit économique, généralisé la notion d’entreprise au détriment de celle de commerçant ou de profession libérale et, au final, créé le tribunal de l’entreprise. «Toutes ces propositions peuvent servir de base de discussion avec la Chancellerie», a-t-il suggéré avant de soulever des sujets plus récurrents comme les solutions à apporter à la mortalité infantile trop forte des start-up, au respect des délais de paiement ou encore l’exigence de dépôts des comptes sociaux inégalement traités en France avec trois seuils et plus largement en Europe.