A un mois du procès d'Eric Dupond-Moretti, le grand flou

Dix jours dans une salle d'audience, téléphone coupé, pour répondre de soupçons de conflits d'intérêts. Tout en étant ministre de la Justice. A un mois du procès d'Eric Dupond-Moretti, l'exécutif reste flou sur la gestion de cette situation...

Éric Dupond-Moretti à Paris le 3 octobre 2023 © Ludovic MARIN
Éric Dupond-Moretti à Paris le 3 octobre 2023 © Ludovic MARIN

Dix jours dans une salle d'audience, téléphone coupé, pour répondre de soupçons de conflits d'intérêts. Tout en étant ministre de la Justice. A un mois du procès d'Eric Dupond-Moretti, l'exécutif reste flou sur la gestion de cette situation inédite, qui représente pour beaucoup une "difficulté démocratique".

"Je veux travailler jusqu'à la dernière minute. (...) Mon but est que le ministère de la Justice puisse continuer à tourner", s'est contenté de répondre vendredi sur franceinfo le garde des Sceaux. A Matignon, on botte également en touche : le ministre "est au travail". Il suit la finalisation de sa loi justice, inaugure ce vendredi une prison à Caen...

Après l'ouverture le 6 novembre du procès devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des ministres pour des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions, "une organisation, qui est en cours de définition, permettra d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, la continuité de l'Etat", indique Matignon.

"Cela pose quand même une difficulté démocratique majeure", réplique Ludovic Friat, président de l'Union syndicale des magistrats (majoritaire), appelant l'exécutif à trancher pour "résoudre" la question.  

Pour le garde des Sceaux, la ligne de conduite semble claire : ne pas "se comporter comme un coupable", résume une source gouvernementale.  

Eric Dupond-Moretti, à qui on reproche d'avoir usé de sa fonction de ministre pour régler des comptes avec des magistrats avec qui il avait eu des différends lorsqu'il était avocat, a toujours clamé son innocence, assurant avoir seulement suivi "les recommandations de son administration".

Cocasse

Malgré sa mise en examen en juillet 2021, un renvoi en procès confirmé en cassation en juillet 2022, malgré différents remaniements et rumeurs de départ, chaque fois démenties, il a continué sa vie de ministre.

"Ca ne l'a jamais empêché de travailler", martèle son entourage.

Ses adversaires politiques se sont étonnamment peu saisis de cette opportunité pour l'attaquer, et dans le grand public, l'affaire "n'intéresse pas les gens", note la source gouvernementale: le ministre "n'a pas détourné d'argent public, pas frappé sa femme... on parle d'actes d'administration".

Chez les magistrats en revanche, on dénonce une situation institutionnelle "exceptionnelle", "cocasse", "jamais arrivée dans un pays démocratique"... Un ministre jugé pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions, alors qu'il exerce toujours ces fonctions, c'est déjà une première. 

Quand c'est en plus le ministre des magistrats qui se retrouve en procès... "Une aberration judiciaire", soupire une magistrate habituée des affaires politico-financières.

Pour rester dans les clous, il a fallu des "contorsions institutionnelles", note un autre, comme se "déporter" au profit d'Elisabeth Borne pour désigner le nouveau procureur général près la Cour de cassation, qui portera l'accusation au procès. 

Le jour de l'installation officielle de Rémy Heitz début septembre, le ministre a eu un empêchement, remarqué. 

Deals politiques

Alors, quelle solution ? Un énième "décret de déport" vers la Première ministre, cette fois pour l'intégralité du ministère ?

L'Elysée n'a pas souhaité commenter. Mais un proche d'Emmanuel Macron explique qu'un planning aménagé "compatible avec sa situation de ministre" a "été demandé", par exemple pour qu'il puisse assister aux questions au gouvernement au Parlement. 

Une hypothèse pour l'heure peu réaliste - les audiences sont prévues de 09H00 à la fin de la journée pendant 10 jours.

Autre difficulté, la composition de la CJR, juridiction mi-juridique mi-politique, que François Hollande puis Emmanuel Macron avaient promis de supprimer: trois magistrats professionnels et 12 parlementaires, dont certains (LFI, RN) sont de farouches adversaires. 

Comment faire la part entre le ministre avec qui l'on s'écharpe au Parlement et le prévenu face à la cour ? Et comment ne pas soupçonner de complaisance les juges issus de la majorité ? 

"Si on voulait un cadre sain, il aurait fallu qu'Eric Dupond-Moretti démissionne", résume le député LFI Ugo Bernalicis. "Sinon, cela crée un soupçon, avéré ou non", sur le risque de "deals politiques", tel qu'"un amendement soutenu par le ministre au Parlement... en échange d'une plus grande clémence du juge", estime-t-il.

"Nécessairement", la situation "affaiblit Eric Dupond-Moretti", reconnaît un responsable du groupe Renaissance à l'Assemblée. Mais "est-ce qu'il doit rester à sa place ? Oui il est innocent".

Et s'il est condamné ? "N'allons pas plus vite que la musique", a balayé le ministre sur franceinfo, pressé d'"arrêter sur ce sujet".

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