Gazettescope
Vous avez dit chef… ?
Démission silencieuse, remise en cause de l’autorité, mutations du monde de l’entreprise et du rapport au travail : pas simple la vie de chef d’équipe, de manager, de cadre en 2023. Jusqu’où ira le changement, à l'heure d'une tendance où l'on conteste et l'on brocarde tout et à tout propos, sans souvent proposer de solutions constructives et concrètes, d'altératives cohérentes. Avec quelles conséquences pour cette communauté humaine et maison des compétences qu’est une entreprise ?
Le principe cardinal d’une relation contractuelle entre un salarié et sa hiérarchie est que le premier soit rémunéré pour un travail que lui demande le second. Élémentaire. Et pourtant, depuis la pandémie, un phénomène s’est accéléré. Une tendance de fond qui se confirme dans les études et enquêtes consacrées au sujet. Le rapport au travail des Français a changé. D’ailleurs, l’évolution au cours des trois dernières décennies est évocatrice puisqu’aujourd’hui 20 % des salariés estiment que le travail est «très important» contre 60 % en 1990, et bien plus sur les générations antérieures. Il y a à peine quinze ans, près de deux Français sur trois acceptaient d’avoir moins de temps libre en échange de revenus plus élevés. Désormais, le rapport s’est totalement inversé. Si bien qu’ils sont à présent deux fois plus nombreux à préférer avoir davantage de temps libre même si cela implique de gagner moins d’argent.
Faire le minimum requis...
À coup sûr, les comportements sociétaux, plus individualistes, engendrent moins d’attachement et moins d’implication à des structures comme le travail qui demandent un effort d’adaptation à un collectif. Les nouvelles habitudes de travail induites par la pandémie, comme le télétravail, ont renforcé ce sentiment. Dans cette logique, la popularité du salarié en mode freelance gagne du terrain, notamment chez les jeunes. Entre 2005 et 2022, la part des salariés ne se déclarant pas fier d’appartenir à leur entreprise a quasiment doublé. Cette distance qui s'accroît entre salariés français et travail n'est pas synonyme de moindre investissement dans leurs tâches car ils sont une large part à affirmer qu'ils font en général plus que ce qui est attendu avec une proportion un peu plus importante de salariés ayant le sentiment que leurs managers ne le remarquent pas. Ainsi, ces derniers mois est apparu le terme de «quiet quitting» ou «démission silencieuse». Le terme est d'ailleurs trompeur car les salariés concernés ne quittent pas leur emploi, ils font ce pour quoi ils sont payés, rien de plus, s'en tenant strictement et uniquement aux horaires contractualisées à l'embauche. Ce dont ils se séparent, c’est d’un surengagement professionnel.
L'autorité contestée
Dans cette recherche d’un meilleur équilibre de vie privée/vie professionnelle, le phénomène essaime particulièrement chez la génération Z (née entre 1997 et 2010) et celle qui la précède, les millennials. Tout cela part d’une revendication : ne plus laisser sa vie privée au détriment du travail, s’épanouir professionnellement sans tout sacrifier. Ce changement de paradigme majeur vient bousculer le modèle traditionnel de l’entreprise dans l'un de ses fondements : l’autorité. Si les salariés reconnaissent qu'elle est nécessaire, beaucoup admettent qu’elle peut générer de l’anxiété. 4 salariés sur 10 pensent même qu’elle peut être un frein à la productivité. C’est le cas des jeunes arrivant sur le marché du travail avec un rapport à l’autorité très différent de leurs prédécesseurs : à leurs yeux, la meilleure justification à l’autorité demeure les compétences. Les sources traditionnelles de légitimité que sont l’âge, le titre, les diplômes, même la détention du capital de l’entreprise ne font plus recette chez ces primo travailleurs.
L'entreprise, socle essentiel
Cela pose pléthore de
questions. Elles vont bien au-delà du spectre de l’entreprise et interroge sur
la notion d’autorité dans notre société, de plus en plus souvent remise en
cause et contestée : celle du professeur devant sa classe, celle de l’arbitre
face aux joueurs, du politique dans ce qu’il représente en termes d’expression
démocratique… Dans une légitime compréhension à aller vers une quête de sens,
un rapport plus harmonieux et plus épanouissant entre les personnes dans notre
corpus collectif, une société, une entreprise, sans des règles, une hiérarchie,
une autorité qui perdraient de leur substance, et tout de même colonne
vertébrale de notre édifice commun est-elle viable ? En entreprise, comment
concilier cette appétence grandissante pour une sphère personnelle préservée
avec cet ADN entrepreneurial : être compétitif, performant, générateur de
résultats ? La quadrature du cercle n'est pas aisée à trouver. On n'oubliera
pas l'essentiel. Dans notre modèle sociétal, complexe, mouvant, voire
inquiétant sur bien des points, l'entreprise reste l'un des rares cénacles de
repères... Ce n'est pas anodin...