Une mécanique de pointe à l’origine d’une belle réussite entrepreneuriale
Si vous n’aviez jamais entendu parler de conformateur, c’est normal. Plutôt méconnu, cet outillage, aussi précis que technique, est la pièce maîtresse des machines d’ensachage et de conditionnement.
Ce marché de niche, Carlos Rodrigues s’y est intéressé il y a plus de 15 ans, en inventant, dans le fin fond de son garage, un des premiers conformateurs. Il décide d’en faire son métier, et même son projet de vie, puisqu’il crée en 1998 Col de cygne. L’entreprise, basée à Pérenchies, est une des deux seules en France à maîtriser cette production de pointe. «Et encore, l’autre est un Anglais qui a installé une division en France», s’amuse-t-il à préciser. S’il y a peu d’acteurs, c’est que le marché nécessite technique et rigueur. «Avant, j’étais directeur technique dans une entreprise de conditionnement à façon, Atout pack. J’achetais déjà des outillages pour les industriels. Avec mon CAP d’ajusteur, je possédais des bases techniques et j’ai commencé à modifier moi-même des pièces dans mon garage. A 27 ans, je me suis senti prêt et j’ai démarré seul», se rappelle Carlos Rodrigues. Mais attention, pas avec n’importe quelle commande ! Alors installé à Marcq-en-Barœul, il décide d’aller parler de son projet chez Lesaffre qui lui passera sa toute première commande, avant même que l’entreprise ne soit officiellement créée ! Un salarié, un apprenti… Carlos Rodrigues ressent rapidement que son entreprise répond à un réel besoin et recrute pour arriver aujourd’hui à un effectif de six salariés et trois apprentis. Il met au point son propre procédé de fabrication pour réaliser des conformateurs usinés à partir d’ébauches mécaniques creuses et non à partir de tôle roulée et soudée, méthode de fabrication la plus répandue sur le marché. C’est le début d’une belle ascension…
Processus de fabrication de pointe. Le conformateur est à chaque fois une pièce unique et peut peser entre 30 et 50 kilos. Composé d’inox et d’aluminium, il peut s’adapter à tout type de demande et garantit une cylindricité au 10e de millimètre ! «On a dû, par exemple, en construire un pour ensacher des ballots de paille ! Ou un autre pour des morceaux de sucre individuels», se souvient le gérant. L’entreprise travaille pour Blédina, Bonduelle, Fichaux industries, Lutti… Derrière, les compétences d’une petite équipe qui étudie les demandes dans les moindres détails. «Notre procédé de fabrication nous permet d’être cinq fois plus précis que les concurrents. Cette précision se ressent à l’utilisation, donc les machines gagnent en productivité.» Et Carlos Rodrigues de citer l’exemple de cette entreprise de l’est de la France qui a remplacé l’ensemble de ces outillages par ceux de Col de cygne pour gagner en productivité. Alors oui, la qualité se paie – l’outillage le plus cher s’est vendu 12 000 euros –, mais c’est le résultat d’une production française.
Une nouvelle machine pour les «petits» torréfacteurs. Toujours le nez à flairer les innovations, Carlos Rodrigues a eu l’ingénieuse idée, il y a bientôt deux ans, d’imaginer une machine dédiée à la production de dosettes de café souples. «Les grands torréfacteurs ont les capacités d’investir dans de telles machines, mais il existe de très petits acteurs dont la production est d’à peine 10 tonnes de café par an (contre 8 000 pour Méo ou 30 000 pour Fichaux).» Il leur faut donc une machine à la hauteur de leur production et de leur investissement financier. «Et s’ils n’investissent pas, ils n’entreront jamais sur le marché qui explose : celui des dosettes souples. La machine que nous avons développée produit 80 dosettes par minute, soit 33 000 par jour et 700 000 par mois», poursuit-il. Col de cygne a reçu une aide de bpifrance pour le financement de ce projet, et entre aujourd’hui en pleine phase de commercialisation. Les Cafés Rémy, à Valenciennes, sont les premiers à tester le prototype (300 tonnes de café vert sont torréfiées chaque année). « Nous avons investi 200 000 euros dans la machine. Nous n’étions pas du tout sur le marché des dosettes souples. Les consommateurs, et encore plus les Nordistes, sont habitués au goût spécifique de notre café moulu, désormais ils pourront le retrouver dans les dosettes. Cela nous permet aussi de toucher une clientèle plus jeune, qui ne consomme plus de café moulu», explique Maxime Rémy. Quatre qualités de café sont aujourd’hui en vente (sur les huit proposées par le torréfacteur valenciennois) et les premiers chiffres sont plus qu’encourageants. L’objectif, à terme, serait de produire 100 000 paquets par an. «Ce qui nous a permis de franchir le pas, c’est surtout l’interaction entre deux entrepreneurs régionaux», ajoute-t-il. Signe que cela fonctionne : les Cafés Rémy réalisent le travail à façon pour un autre torréfacteur !
L’export ? Si Carlos Rodrigues exporte déjà dans quelques pays pour 5 à 10% de son chiffre d’affaires, il a surtout une autre idée en tête… Revenu d’un récent voyage au Brésil pour visiter des entreprises concurrentes, il y a fait la rencontre de deux jeunes gens positionnés sur le même métier que Col de cygne. «Mes concurrents vendent leurs conformateurs jusqu’à cinq fois moins chers que moi ! Ils font davantage de volume, n’ont pas le même niveau de finition, mais il m’est difficile de m’aligner… Deux créateurs brésiliens vont venir visiter Col de cygne à la fin de l’année. S’ils acceptent, j’espère entrer dans leur capital. Chez eux, la France est synonyme de luxe, de qualité et de rigueur. J’aimerais leur apporter cela», détaille-t-il. Pour répondre à des demandes de clients à l’export, l’entreprise va aussi développer des produits de milieu de gamme, ainsi qu’un site internet où il sera possible de commander en ligne. Avec 190 conformateurs produits chaque année, Col de cygne a doublé son chiffre d’affaires en trois ans pour atteindre, en 2013, le montant de 900 000 euros. Une belle performance pour cette TPE, dirigée d’une main de fer – ou, devrions-nous dire, d’acier – par un entrepreneur qui n’hésite pas à descendre dans l’atelier de production quand le besoin se fait ressentir. «C’est important pour moi, de mon bureau, de voir tourner les machines, de les entendre travailler et de les aider en cas de pic d’activité. Ma porte est toujours ouverte, c’est l’état d’esprit dans lequel j’aime travailler.»
Combler la crise en imaginant un autre business
Carlos Rodrigues a, ce qu’on pourrait appeler, du flair … Après Col de cygne, il imagine L’Atelier des designers en 2010. «Avec la crise, les entreprises ont moins investi. Notre chiffre d’affaires a été divisé par deux, voire par trois ces années-là. Parfois, les salariés n’avaient rien à faire pendant plusieurs jours. Alors, j’ai créé L’Atelier des designers, une société qui crée des pièces pour les entreprises ou les particuliers.» Escaliers, portes, tables… en acier et en inox, les pièces, fabriquées à Pérenchies avec l’outil industriel déjà existant, ont permis de combler les trous. Mais, à la plus grande surprise de Carlos Rodrigues, la société est aujourd’hui rentable. «Nous avons, par exemple, réalisé pour Vinci un parcours en leds bleues pour le parking de la Grand-Place de Lille. Nous avons aussi développé des kits de marquage au sol pour les écoles.» L’Atelier des designers a ainsi réalisé un chiffre d’affaires de 150 000 euros en 2013. Et dire qu’à l’origine, il s’agissait juste de «combler les trous»…
Quelques chiffres
Le secteur de l’emballage en Nord-Pas-de-Calais se situe au 3e rang français et représente plus de 7 200 salariés pour 2 milliards d’euros de CA. La filière s’est construite autour de grands donneurs d’ordre : Jean Caby, Bonduelle, McCain, Roquette, Danone, Lutti, etc.
L’industrie agroalimentaire est la première consommatrice d’emballages avec 65% du CA.
Le café est le 2e produit d’importation en France après le pétrole. 300 000 tonnes/an sont consommées par les Français.
Le marché des dosettes souples a doublé en quatre ans en Europe pour atteindre 4 milliards d’euros en 2012 et pèse désormais près d’un quart du marché du café européen.