Un ralentissement de l’inflation, mais à quel prix ?

Le taux d’inflation annuel de la zone euro est en baisse depuis quelques mois. Hélas, sous l’apparence d’une bonne nouvelle, cette désinflation pourrait être le prélude à un sérieux ralentissement de l’activité, voire une récession…

Un ralentissement de l’inflation, mais à quel prix ?

Le taux d’inflation annuel de la zone euro s’est établi au mois de mai à 6,1 % contre 8,1 % un an auparavant. La Banque centrale européenne (BCE) a bien entendu voulu y voir les premiers fruits du resserrement de la politique monétaire, tandis que les dirigeants des États membres ont mis en avant l’efficacité de leurs mesures de politique budgétaire. Mais soyons clair, ce ralentissement de la hausse des prix - qualifié de désinflation - ne signifie absolument pas que les prix baissent : ils augmentent, mais moins vite que l’année dernière ! Cette confusion savamment entretenue entre désinflation et déflation rappelle à s’y méprendre les débats du début des années 1980, qui ont vu naître le concept de «désinflation compétitive»

Une désinflation dans la zone euro

Ce ralentissement de l’inflation s’observe dans tous les pays de la zone euro, même si certains partaient de bien plus haut que d’autres. Ainsi, entre janvier et mai 2023, le taux d’inflation annuel est passé de 7,4 % à 2,7 % en Belgique, de 9,2 % à 6,3 % en Allemagne, 7,0 % à 6,0 % en France, de 10,7 % à 8,1 % en Italie, de 21,4 % à 12,3 % en Lettonie, etc. Ce n’est désormais plus l’énergie qui tire l’inflation à la hausse - encore que le niveau atteint demeure extrêmement élevé -, mais l’alimentation (y compris alcool et tabac). Ce constat chiffré fait écho au ressenti des ménages qui, d’après les sondages et les enquêtes, arbitrent de plus en plus dans leurs achats, en raison principale des fortes hausses sur les produits alimentaires, depuis plus d’un an. Et pour les entreprises, cela revient à dire que les prix de l’énergie restent un poids lourd dans le compte de résultats, qui se conjugue à la hausse des prix des biens industriels et des services. Bref, à ce stade, il n’est pas certain qu’il faille se réjouir outre mesure de ces chiffres, d’autant que certains économistes y voient la fin du mécanisme prix-profits, qui consistait pour les entreprises, alors en position de force, à augmenter leurs prix pour conserver ou augmenter leurs profits.

Vers une récession?

Les coûts élevés des matières premières et des consommations intermédiaires des entreprises se conjuguent donc à la perte de pouvoir d’achat des ménages, ce qui pèse lourdement sur la demande interne. Et la Banque centrale européenne (BCE) vient d’ajouter un clou en remontant ses taux d’intérêt directeurs, dans l’espoir de juguler l’inflation. Le taux des opérations principales de refinancement atteint ainsi 3,75 % fin mai 2023 contre 0 % au début de l’année 2022, hausse qui, associée à l’inflation, se reporte sur les taux d’intérêt des emprunts. Conséquence, le crédit tend à s’essouffler, en particulier dans l’investissement immobilier, ce qui met sur la touche de nombreux corps de métiers et menace de faire éclater la bulle immobilière qui s’est formée dans certaines villes. Et encore, comme la hausse des taux d’intérêt nominaux ne suit pas celle de l’inflation, les taux réels demeurent négatifs, ce qui soutient en principe encore l’investissement. Toujours est-il que, depuis trois décennies, la croissance européenne reposait avant tout sur l’endettement et qu’un tel resserrement de taux est donc susceptible de gripper l’économie. Le salut de l’économie européenne ne viendra pas non plus du commerce international, malgré la multiplication des aides à l’export dans chaque État membre. En effet, toutes les entreprises n’ont pas vocation à devenir exportatrices et la reprise économique des autres régions du monde ne s’est pas accompagnée de la forte relance espérée de leurs importations. En un mot, la zone euro risque de payer sa désinflation par une récession, ce que tend à montrer l’économie allemande dont le PIB s’est contracté de 0,3 % au premier trimestre 2023, après un premier recul de 0,5 % à la fin de l’année 2022.


Désinflation et fin de l’illusion monétaire

Trop souvent célébrée comme la clé d’un retour à la croissance, la désinflation fait en vérité réémerger de nombreux problèmes économiques que l’inflation avait réussi à dissimuler pour un temps. Il en va ainsi des recettes fiscales de l’État, catalysées par l’inflation, ce qui permet à nombre d’États de la zone euro d’afficher des déficits publics et des taux d’endettement en recul, alors même que la dépense publique et la dette ont considérablement augmenté depuis la pandémie. Qu’en sera-t-il alors de la soutenabilité des finances publiques dans un contexte de désinflation ? Du côté des entreprises qui disposaient d’un pouvoir de marché suffisant pour augmenter leurs prix et ainsi maintenir leur profitabilité à court terme, la désinflation signifie le retour à des ajustements réels : baisse des coûts (licenciements, contrats précaires, renégociations avec les sous-traitants…) ou recherche de gains de productivité (automatisation, hausse des cadences…). Comme les seconds sont plus longs et difficiles à obtenir, la main-d’œuvre risque fort de redevenir la variable d’ajustement de l’économie dans les prochains mois...