Turbo Cereal, une autre vision du financement de l'agriculture

Turbo Cereal est une société coopérative d'intérêt collectif qui vient soutenir, de façon innovante, la trésorerie des agriculteurs. Explications.

Manquer de trésorerie… C'est un problème redouté par les entrepreneurs auquel la start-up Turbo Cereal, incubée à Etaples, entend s'attaquer dans le domaine agricole. «Mon père était agriculteur et négociant, d'abord en pommes de terre puis en céréales. J'ai repris le volet négoce en 1995. Mais face aux difficultés de trésorerie des agriculteurs, j'ai décidé d'arrêter cette activité sous sa forme classique en 2015» explique Marcel Turbaux, un des cinq cofondateurs initiaux et CEO de Turbo Cereal.

En effet, face aux aléas climatiques et à l'inflation, les chefs d'exploitation, confrontés à des cycles de production longs, connaissent des difficultés financières récurrentes pouvant les conduire à devoir s'endetter davantage voire décapitaliser et, dans les cas les plus graves, à cesser l'activité. Avec des conséquences pour leurs fournisseurs et acheteurs qui n'ont pas toujours les épaules assez larges pour faire des avances ou accorder des délais de paiement.

Revenu minimum, conseil technique et assurance

C'est dans cette idée que Turbo Cereal est lancé en 2017 avec l'objectif de financer la production durable de céréales. «Nous avons choisi un statut innovant à l'époque, celui de société coopérative d'intérêt collectif qui permet de réunir coopératives et entreprises privées», souligne Marcel Turbaux. «Nous avons repris le modèle tripartite organisme bancaire – négociant – agriculteur avec l'objectif de financer 35-40% des besoins de ce dernier».

Fonctionnant sous la forme d'une plateforme, Turbo Cereal gère des contrats de production (comme un négoce classique) mais qui intègrent des fonctions de sécurisation du revenu. La start-up propose ainsi aux agriculteurs, après leur adhésion, plusieurs formules de contrat de production, dont certaines comprennent un apport de trésorerie compris entre 25 et 70% du prix de vente plancher jusque 200 000 euros. Une garantie de revenu en échange d'un engagement sur trois ans.

Les céréaliers bénéficient d'outils de gestion dédiés, techniques comme économiques (avec ou sans abonnement selon le niveau de service). Pour cela, l'intelligence artificielle est utilisée et des capteurs enregistrant des données sur le terrain peuvent être fournis. Par ailleurs, des assurances viennent sécuriser les récoltes. De leur côté, les producteurs choisissent un cahier des charges qui garantit leurs pratiques (bio, label HEV…). Grâce à cette démarche et à l'enregistrement des pratiques culturales sur le long terme, Turbo Cereal veut ouvrir le marché des crédits carbone à ses adhérents. Une façon de rendre la filière plus durable.

Un apport financier mais pas seulement…

Mais si Turbo Céréal garantit un revenu plancher (comme pourrait le faire une coopérative agricole), les producteurs gardent tout loisir de choisir leur collecteur final, et donc le prix de vente de leurs récoltes. La plateforme fonctionne alors comme une place de marché, et permet une négociation directe entre l'agriculteur adhérent et le collecteur. C'est cet acheteur qui versera directement le solde à payer en fin de cycle de production. Les transactions se font via un compte d'activité qui est également utile pour payer des fournisseurs partenaires.

Selon Marcel Turbeaux, tous les acteurs y trouvent leur compte. «Par exemple, les coopératives sont intéressées. En nous rejoignant, elles diminuent les capitaux sortis et peuvent réinvestir dans l'innovation par exemple. Ensuite c'est à elles d'être bonnes pour conserver leurs adhérents», développe le CEO de la start up. Quant aux investisseurs et aux organismes bancaires, ils sont encouragés à financer dans un cadre sécurisant.

Objectif : 1 million de tonnes contractualisé

Mais concrètement, quel est le bénéfice pour les agriculteurs ? «Nous avons fait des études qui révèlent que pour un besoin en trésorerie de l'ordre de 60% du prix de vente, en passant par nous, le gain de marge est de plus 18%. Notre coût représente de 4 à 6% du chiffre d'affaires et l'adhésion est de 30 euros», détaille Marcel Turbaux.

Pour financer son développement, la start-up, qui partage aujourd'hui son activité entre Paris, Côte d'Opale et Saint-Quentin, a déjà réalisé plusieurs levées de fonds et crowdfunding. En 2024, la coopérative annonce un chiffre d'affaires de 7 millions pour 250 000 euros de bénéfices. De nouveaux partenaires bancaires devraient accompagner une montée en puissance en 2025, qui sera une période test, avec un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros.

«Aujourd'hui, nous intervenons sur les-Hauts-de-France, une partie de la Normandie de l'Est de la France et l'Occitanie, développe le CEO. Nous travaillons avec les producteurs de légume, lin et de pommes de terre à titre expérimental. À terme, nous voulons prendre en compte le maximum de cultures». L'objectif de l'entreprise est d'atteindre, dans trois ans, un million de tonnes de céréales sous contrat sur l'ensemble du territoire avec 1 500 agriculteurs. Marcel Turbo espère alors voir son chiffre d'affaires se hisser à plus de 100 millions d'euros.

Pour Aletheia Press, Laetitia Brémont

En chiffres

  • 7 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2024
  • 250 000 euros de bénéfice en 2024
  • 10 millions d’euros de chiffre d’affaires visés pour 2025
  • 2 salariés et 7 recrutements en cours