Tags pro-russes à Paris : des opérations aux finalités multiples

Des graffitis, des cercueils sous la tour Eiffel : toutes les semaines ou presque, de petites équipes en provenance de l'ancien bloc soviétique sont rapidement identifiées après ces opérations, des procédés à première vue grossiers, dont...

Des graffitis sur le conflit en cours après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, sur la façade du siège de l'Agence France Presse à Paris, le 20 juin 2024 © Alain JOCARD
Des graffitis sur le conflit en cours après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, sur la façade du siège de l'Agence France Presse à Paris, le 20 juin 2024 © Alain JOCARD

Des graffitis, des cercueils sous la tour Eiffel : toutes les semaines ou presque, de petites équipes en provenance de l'ancien bloc soviétique sont rapidement identifiées après ces opérations, des procédés à première vue grossiers, dont la finalité est plus complexe qu'il n'y paraît.

Jeudi, deux Moldaves ont été arrêtés après avoir peint au pochoir des cercueils, avec l'inscription "Stop the Death, Mriya, Ukraine" sur les façades de deux grands organes de presse, au coeur de Paris, le Figaro et l'AFP. Mardi, des tracts "Des Mirage pour l'Ukraine" avec le dessin d'un avion en forme de cercueils ont été retrouvés devant l'AFP ou tagués en plusieurs lieux de la capitale. 

Début juin, des cercueils étaient déposés devant la tour Eiffel, portant l'inscription "Soldat français en Ukraine". Fin 2023, des étoiles de David avaient été taggées dans Paris et il y a quelques semaines des "Mains rouges" sur le mémorial de la Shoah, suscitant l'indignation.

Les modes opératoires se répètent, et les auteurs souvent rapidement identifiés: originaires de pays de l'ancien bloc soviétique (Moldavie par exemple), tentant parfois de fuir à l'étranger, et disant avoir été payés quelques dizaines d'euros par de mystérieux commanditaires.

Peu de doute pour les autorités françaises comme pour les experts en guerre informationnelle: il s'agit d'opérations de déstabilisation orchestrées par la Russie, accusée de vouloir diviser la société française et de semer le chaos. 

Dans le cas des étoiles de David, l'opération finalement a été imputée par les autorités aux services de sécurité russes (FSB). De son côté, Moscou dément toute ingérence.

Quel intérêt ?

Mais quel est de l'intérêt de monter de telles opérations qui semblent parfois grossièrement montées ?

"Ils parlent à leur public, des cercles qui ne croiront pas les autorités qui dénonceront la Russie", explique le Docteur Christopher Nehring, analyste spécialiste de la désinformation à la fondation allemande Konrad Adenauer, et "ils appuient sur des tensions préexistantes au sein des sociétés. Même si les autorités peuvent prouver que la Russie est à la manoeuvre, une partie du public percevra le +message émotionnel+".

Pour Arnaud Mercier, professeur en sciences de l'information à l'université Paris 2, "cela n'a pas beaucoup d'impact sur l'opinion publique" au sens large.

Mais "une partie de ce que fait la Russie a vocation à d'abord être un outil de communication interne", explique-t-il. En l'occurrence pour renforcer l'idée auprès du public russe que les Occidentaux, comme la France, font la guerre à la Russie en Ukraine, et que cela fait polémique.

Message caché ?

Pour autant, "on peut se demander s'ils ne font pas exprès de se faire attraper", s'interroge une source sécuritaire française sous couvert d'anonymat.

"Soit ils ont des équipes qui ne savent pas faire mieux, soit l'objectif n'est pas de recouvrir Paris de tags, mais de nous faire savoir qu'ils peuvent faire mieux, dans une logique de harcèlement très dosée, pour nous montrer qu'ils nous ont dans le collimateur" et faire passer un message.

Une source européenne de la communauté du renseignement, également sous couvert d'anonymat, fait une analogie avec le monde de la mode: "les Russes font de la +fast-fashion+ à bas coût, mais ils peuvent aussi faire des habits sur mesure et élaborés".

Depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, les gouvernements européens ont expulsé de très nombreux diplomates russes, et "prioritairement les agents des services secrets sous couverture, entravant leur capacité à agir", souligne la source sécuritaire. 

Mais depuis, Moscou a multiplié les efforts pour augmenter ses capacités d'action, sous-traitant des opérations. Fin mai, le Wall Street Journal révélait comment des civils, dont au moins un réfugié ukrainien en Pologne, ont été recrutés pour renseigner Moscou.

"Les Polonais ont documenté des vrais opérations d'espionnage, on a identifié d'autres cas en Allemagne, en République tchèque", abonde la source sécuritaire, qui rappelle qu'il y a aussi eu des incendies en Grande-Bretagne sur des sites où transitait du matériel à destination de l'Ukraine.

Il ajoute: "En France, il y a eu des remontées d'entreprises sensibles ayant repéré des personnes qui semblaient faire du repérage, on ne sait pas de quoi il s'agit".

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