Soudure à froid dans la dentelle

Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a décidé, le 23 septembre, de la reprise des sociétés Noyon-Darquer et Desseilles par le groupe valenciennois Cochez à partir du 1er octobre, avec la reprise des activités tissage et tricotage chez Noyon et celle du seul tissage chez Desseilles. En tout 93 personnes sur 171 sont reprises dans les effectifs. Récit d’une histoire sociale dramatique.

Les juges consulaires ont «donné» Noyon au seul repreneur à s'être manifesté officiellement.
Les juges consulaires ont «donné» Noyon au seul repreneur à s'être manifesté officiellement.

Les juges consulaires ont «donné» Noyon au seul repreneur à s’être manifesté officiellement.

Est-ce le sauvetage de la dernière chance ? On a trop souvent spéculé sur l’avenir de de la dentelle à Calais comme à Caudry pour être sûr de ce qui va se produire suite à l’opération que viennent de mener le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, le Conseil régional, le repreneur Cochez et les derniers acteurs calaisiens. En clair, les juges consulaires ont «donné» Noyon et «soldé» Desseilles au seul repreneur à s’être manifesté officiellement : c’était ça ou rien… Le niveau d’activité, l’endettement phénoménal des sociétés et leur production totalement chamboulée par des problèmes récurrents de trésorerie ont mené l’industrie dentellière de Calais au bord de l’extinction. Seul le fabricant Storme vit difficilement tandis que Riechers & Marescot, Codentel et Hurtrel (groupe Holesco de Romain Lescroart) prennent lentement mais sûrement le chemin de Caudry.

Autre dossier afférent, la teinturerie Color Biotech, également en redressement judiciaire depuis le printemps dernier, ne fera finalement pas partie du nouveau groupement qui veut pérenniser le reste de la filière à Calais. Solstiss, fabricant caudrésien et actionnaire de référence de la teinturerie, fait seul son chemin. Son maintien à Calais n’est pas garanti.

Un plan ambitieux et une intégration difficile

Dans le lot, c’est Noyon qui est – une fois de plus – préservé par rapport à Desseilles. La nouvelle société ira rue des Salines chez Noyon et devra s’acquitter d’un loyer auprès de la ville de Calais (qui n’a pas encore délibéré au moment où nous bouclons cette édition), qui avait acheté le site afin d’aider Noyon lors de ses crises successives. Le repreneur garde pourtant un atelier Leavers chez Desseilles avec 5 personnes. Pascal Cochez reprend surtout 78 des 103 salariés de Noyon contre 15 des 68 salariés de Desseilles dont l’atelier tricotage disparaît corps et biens. Choix incertain quand on sait que c’est le tricotage qui était rentable chez Desseilles et le Leavers, déficitaire…

«Le tribunal a sacrifié Desseilles pour sauver Noyon», dénonce Renato Fragoli, secrétaire du comité d’entreprise de Desseilles.

«Le tribunal a sacrifié Desseilles pour sauver Noyon. On le dit depuis des mois. Jamais nous n’avons été associé à ce qui se tramait», dénonce Renato Fragoli, secrétaire du comité d’entreprise de Desseilles. Le nouvel actionnaire mise sur la robe. «C’est Darquer, marque historique du haut de gamme en robe, qui est mise en avant dans le nouvel ensemble. On vendra les trois collections, naturellement. Mais il fallait baisser très fortement le point mort pour trouver une issue à la situation.» La direction générale de Noyon est maintenue à travers la nomination de Sébastien Bento Soares. Cochez apporte 800 000 euros en cash, escompte bénéficier d’un contrat d’affacturage pour 600 000 euros (mais Noyon doit facturer rapidement) et s’appuie sur un financement régional de 600 000 euros qui devrait être avalisé le 21 octobre prochain.

La robe plutôt que la lingerie

Les acteurs du secteur ont déjà évalué le plan de Cochez. «Comment peut-on espérer une croissance à deux chiffres dans la robe alors que Caudry, spécialiste de la robe, a perdu au moins un tiers de son chiffre d’affaires l’an dernier ?» s’interroge un expert de la profession. De même, comment prospérer dans la robe quand on manque de métiers dédiés à cette production particulière qui nécessite des changements de matière notamment ?  Le groupe Cochez pense passer de 9,4 millions d’euros les 15 premiers mois à près de 14 millions dans deux ans.

A Caudry, Romain Lescroart, président du fabricant Sophie Hallette qui avait postulé lors de la reprise de Noyon de 2016, n’y est pas retourné mais indique «que c’est une chance inespérée pour Calais de pérenniser sa dentelle (…). On ne peut souhaiter que cette énième reprise fonctionne». De son côté, l’ex-direction de Desseilles est retournée en Chine depuis plusieurs semaines tandis que les anciens actionnaires de Noyon (les clients Vandevelde, ETAM, Lisa Charmel et l’associé sri-lankais de Noyon Mas) sont également aux abonnés absents. Il y a trois ans, ils voulaient sauver la dentelle de Calais. Gageons que leurs futures commandes «rachèteront» leur défection.