Sel: les producteurs de l'Atlantique mis à mal par le label bio

Dans un marais de l'Île de Ré, un saunier rassemble en petites pyramides les cristaux blancs formés sur les fonds argileux. Dernière récolte d'une saison marquée par la bataille du...

Un saunier récolte du sel dans un marais salant à Saint-Clément-des-Baleines, à la pointe ouest de l'Ile de Ré, dans l'ouest de la France, le 15 septembre 2023 © Christophe ARCHAMBAULT
Un saunier récolte du sel dans un marais salant à Saint-Clément-des-Baleines, à la pointe ouest de l'Ile de Ré, dans l'ouest de la France, le 15 septembre 2023 © Christophe ARCHAMBAULT

Dans un marais de l'Île de Ré, un saunier rassemble en petites pyramides les cristaux blancs formés sur les fonds argileux. Dernière récolte d'une saison marquée par la bataille du sel bio devant les instances européennes.

"Cela ressemble à une querelle de clochers mais c'est notre modèle économique qui est en jeu", glisse Louis Merlin, "simoussi" - nom local de l'outil de ratissage traditionnel - dans les mains, dans le clapotement de l'eau qui scintille sous les premiers rayons du soleil.

Bien loin du tumulte provoqué ces derniers mois par la définition d'un cahier des charges pour la certification biologique du sel, reconnu comme un produit minier et non alimentaire. Le 11  juillet, le Parlement européen a rejeté un projet d'"acte délégué" de la Commission auquel s'opposait l'industrie du secteur.

Le texte de Bruxelles n'était guère à leur avantage: il excluait plusieurs techniques de production et transformation, dont l'extraction à l'explosif du sel de mine, le raffinage du sel et sa recristallisation après dissolution.

Après le "non" des eurodéputés, il appartient désormais à chaque Etat membre d'établir son propre cahier des charges. Une situation "complètement ubuesque" pour Louis Merlin, qui exploite une dizaine d'hectares à l'ouest de l'île. "On va se retrouver avec un label basé sur potentiellement 27 règlementations nationales", déplore-t-il.

Tromperie

Sans compter une possible tromperie du consommateur.

"On aura sous un même label des sels marins les plus naturels possibles, récoltés de manière ancestrale, à l'huile de coude ; et des sels de roche ou salants récoltés mécaniquement, contenant des produits interdits pour le bio en France mais autorisés ailleurs", ajoute celui qui préside l'association des producteurs rétais, forte d'une centaine de membres.

Autre distorsion de concurrence, la saisonnalité: les sels de l'Atlantique se récoltent de juin à septembre, à la faveur du soleil et du vent après évaporation, alors que le sel de roche est produit toute l'année.

La production de ces "Petits Poucets" compte pour un grain de sel dans l'assiette des Français: sur les 200.000 tonnes consommées en France, seules 25.000 viennent des marais de l'Atlantique. 

Au total, ceux-ci pèsent moins de 0,4% de la production française de sel, utilisé majoritairement pour le déneigement ou dans l'industrie chimique, selon l'Association française des producteurs de sel marin de l'Atlantique (AFPS) qui rassemble 600 artisans.

"On est embarqué dans une histoire dont on aurait aimé se passer, notre produit 100% naturel n'avait pas besoin de cette labellisation contre-nature", peste Hugues Leprince, président de la coopérative des sauniers rétais.

Pragmatisme

En France, un groupe de travail du Comité national de l'agriculture biologique, sous la houlette de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), doit définir un cahier des charges. Qui pourrait être calqué sur le texte de la Commission, selon des sources interrogées par l'AFP.

Si ce label s'annonce "bien imparfait", sauniers (producteurs installés au sud de la Loire) et paludiers (au nord) en demanderont l'agrément par "réalisme et pragmatisme commercial", explique-t-on: ils anticipent une demande de l'industrie agroalimentaire - en biscuiterie, biscotterie, boulangerie ou pour la fabrication de plats cuisinés, chips et autres conserves.

"Un distributeur propose déjà du sel espagnol bio sur le marché français, il faut aller vite", souligne Tanguy Ménoret, producteur à Guérande (Loire-Atlantique) et président de l'AFPS, en pointant le risque d'être pris de vitesse par les industriels étrangers - et d'être "les dindons de la farce".

"Au final, c'est la grande distribution qui gagne: entre deux labels bio, elle choisira toujours le produit le moins cher", abonde Véronique Richez-Lerouge, conseillère départementale de l'île de Ré.

"On n'ira pas tête baissée, on va voir comment réagit le marché", tempère Hugues Leprince, qui veut "faire confiance au consommateur".

Les producteurs rétais comptent sur leur démarche de "valorisation et de diversification", entamée depuis 2009 avec une demande d'indication géographique protégée (IGP), à l'instar des marais salants de Guérande.

L'île vient d'organiser un festival, "Fleur de sel", pour illustrer le savoir-faire des sauniers. La méthode de récupération de cet or blanc est au cœur d'un contentieux avec d'autres zones françaises de production. Un autre combat à mener.

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