Santé et Bien-être au travail

Santé du dirigeant : attention à la ligne rouge...

La santé du dirigeant a longtemps été la grande oubliée de l’aujourd’hui QVCT (Qualité de vie et des conditions de travail). Depuis la loi sur a santé au travail d’août 2021, elle est législativement prise en compte. Dans la pratique, ce sont surtout les premiers intéressés qui la mettent de côté et souvent inconsciemment.

© DR. La santé des dirigeants a longtemps été la grande oubliée des politiques de prévention et notamment de la part des principaux intéressés.
© DR. La santé des dirigeants a longtemps été la grande oubliée des politiques de prévention et notamment de la part des principaux intéressés.

Paradoxe de taille ! Aujourd’hui, 90 % des dirigeants d’entreprises affirment être en bonne forme physique (source : 10e baromètre de la fondation MMA des entrpreneurs du futur et Bpifrance le Lab de juin dernier) mais 71 % assurent avoir des troubles physiques récurrents comme des problèmes de dos (90 %), des douleurs articulaires (38 %) ou encore des troubles du sommeil (36 %). Cherchez l’erreur !

Pour Olivier Torrès, professeur à l’université de Montpellier et président de l’association Amarok, le premier observatoire de la santé des dirigeants des PME, il n’y a rien d’étonnant. «Les entrepreneurs ont un lien existentiel avec leur entreprise. Le fait d’entreprendre et d’être toujours en mode projets, cela leur procure une immense satisfaction. L’entrepreneuriat, c’est la science des projets et les projets, c’est bon pour la santé. Dans leur grande majorité, les chefs d’entreprise sont toujours tournés vers l’avenir, ce qui muscle leur optimisme. Tout cela renforce leur capacité d’adaptation et de résilience, c’est ce que je qualifie de «salutogénèse» entrepreneuriale», explique le fondateur d’Amarok.

© Amarok. «Le chef d’entreprise a plus peur de déposer le bilan que d’attraper une maladie grave», assure Olivier Torrès, le fondateur de l’Observatoire Amarok.

Créée en 2009, l’association s’intéresse à la santé physique et mentale des travailleurs non-salariés (TNS), des dirigeants de PME, des commerçants indépendants, des professions libérales et des artisans. L’observatoire, qu’elle réalise, affiche une double finalité. Sociétale, pour sensibiliser l’opinion publique à l’importance de la santé des indépendants que ces derniers soient artisans, commerçants, dirigeants de PME ou professions libérales et scientifiques pour construire un pont entre les sciences médicales et les sciences de l’entrepreneuriat.

Prise de conscience timide

La santé du dirigeant a longtemps été l’oubliée de la QVCT (Qualité de vie et des conditions de travail). La loi sur la santé au travail (du 2 août 2021) et ses articles L.4621-3 et L.4621-4 consacrent les expressions «travailleurs indépendants» et «chef d’entreprise». L’importance du suivi de santé du dirigeant est consacrée au même titre que celle des salariés. «C’est une avancée majeure à laquelle notre observatoire a participé», assure Olivier Torrès. Aujourd’hui, les chefs d’entreprise assurent donc être en bonne santé ou du moins semblent se convaincre qu’ils le sont. «Certains s’épuisent à réussir et leur entreprise passe avant tout. Le chef d’entreprise a plus peur de déposer le bilan que d’attraper une maladie grave. Ils doivent comprendre que préserver leur santé contribue à préserver le premier capital immatériel de leur entreprise. Le capital santé du dirigeant est le premier capital actif immatériel de l’entreprise.»

La prise de conscience par les chefs d’entreprise, eux-mêmes, de prendre en compte l’importance de leur santé, commence à être présente mais cela avance à pas de loup et le climat général actuel pourrait bien inverser la tendance.

«L’an passé l’état de santé des dirigeants était globalement bon, aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychologique. Aujourd’hui, la pratique du sport est de plus en plus fréquente et elle est même devenue la première pratique de bonne santé devant l’alimentation. Les dirigeants affirment un moral supérieur à la moyenne. En revanche, des signaux faibles sont à suivre dans le temps sur la santé psychologique, en particulier chez les plus jeunes dirigeants», assure Élise Tissier, directrice du Lab de Bpifrance.

Dans l’Hexagone, près d’un actif sur deux se déclare en détresse psychologique et les chefs d’entreprise n’échappent pas à la règle. «Depuis la crise de la Covid-19, le rapport des dirigeants à leur santé a été bouleversé. La santé physique s’est améliorée d’année en année mais la forme psychologique est, elle, en dents de scie», peut-on lire dans le 10e baromètre fondation MMA des entrepreneurs du futur et Bpifrance le Lab.

Posture de solutions

L’an passé, les jeunes dirigeants, plus en forme physiquement, indiquent une bien moins bonne forme psychologique que leurs aînés. Les 18-24 ans sont 30 % à évoquer une forme psychologique passable ou mauvaise, contre une moyenne de 24 % pour l’ensemble des dirigeants. Une donne qui peut s’expliquer par le fait que «globalement, les dirigeants d’entreprises et surtout ceux des plus petites ont tendance à oublier. Même quand ils sont malades, ils possèdent un projet de guérison. Ils demeurent toujours dans une posture de solutions», assure Olivier Torrès.

© DR. Le dirigeant se considère encore trop souvent comme un combattant de l’extrême que rien ne peut stopper.

C’est certain qu’à un moment, des limites apparaissent. De là à ne pas prendre conscience de leur état réel ? Dans cette nécessité de prise de conscience de la part des chefs d’entreprise de l’importance de leur santé, plusieurs structures d’accompagnement entrepreneuriales ont édité différents supports d’informations.

«Sur tous les fronts, le dirigeant d’entreprise est soumis à un rythme de vie certes stimulant mais qui peut présenter des facteurs de risques accrus pour sa santé. Pour une PME, la défaillance physique ou psychologique de son dirigeant peut mettre en danger, ou engendrer de graves conséquences, pour la pérennité de son activité et les salariés qui s’y investissent», explique Olivier Lamarque, le directeur général de Réseau Entreprendre en préambule du Guide santé des dirigeants édité il y a deux ans avec Harmonie Mutuelle. Le dirigeant se considère encore trop souvent comme un combattant de l’extrême qui mettra tout en œuvre, jusqu’au boutisme, pour continuer à maintenir à flot son navire entrepreneurial.

Les différents services de prévention de santé au travail, à l'image de l'ALSMT, développent des programmes ciblés mais reste aux principaux intéressés à accepter d’être accompagnés. Les choses avancent mais du chemin reste à faire...

Une question existentielle

«Entrepreneur et existentialisme». C’est, sans doute, le titre du prochain ouvrage d’Olivier Torrès, le président et fondateur de l’association Amarok et de son observatoire éponyme sur la santé des dirigeants des PME. «Les entrepreneurs ont un rapport existentiel à leur entreprise.» L’universitaire et chercheur y fait un parallèle avec la pensée de Jean-Paul Sartre. L’ouvrage devrait paraître dans quelques mois.